La mascarade des élections présidentielles au Guatemala
25Ou comment des élections démocratiques peuvent être qu’une façade. Entre manipulation et achat des votes, le Guatemala est une bonne illustration de ce que peut être le cirque d’une élection majeure dans bien des pays. Une vraie mascarade.
Alors à quoi ressemble un cirque électoral ?
Difficile de ne pas voir qu’une élection majeure approche ici : le moindre bout de rocher est peint aux couleurs d’un partie ! Sans parler des affiches.
La publicité est partout sur la route et dans les rues. A tel point que les affiches et pancartes gênent parfois la circulation et les conducteurs. Provoquant parfois des accidents…
Même chose à la radio et à la télé. Et même sur le net avec des pubs Google Adsens…L’autre jour, je regardais un blog français et hop, voilà que s’affiche en gros l’image d’un des candidats !
Le coût de cette campagne est énorme : 40 millions de Quetzal, soit près de 4 millions d’euros. Pour un pays de 14 millions d’habitants, c’est beaucoup. Surtout que le manda présidentiel n’est que de 4 ans…
Une somme énorme qui part en fumée et qui ne servira pas au développement du pays.
Ce coût contient aussi l’achat des votes. Oui, vous avez bien lu. Ici, les votes s’achètent, c’est un secret de polichinelle. Vous pouvez le lire dans la presse.
Je vois parfois dans la rue des attroupements ou manifestations pour tel ou tel partie. Nul doute que ces personnes sont payées pour porter les couleurs du parti le temps d’une journée.
Ici, les gens votent pour de l’argent. Les partis payent chaque vote. Le Parti Patriotique, le plus en vu, donne ainsi 6 dollars pour chaque vote. A condition de gagner bien sûr. Il suffit d’aller s’inscrire et vous recevez une carte en vue du futur paiement.
Les partis organisent des transports pour aller chercher les votes dans les villages reculés. Les gens sont amenés à bon port et on droit à un repas gratuit. Cela suffit pour déclencher le sens du devoir civique.
C’est beau la démocratie.
Douze candidats, un ancien général accusé de crimes, un autre soutenu par les narcos…
Celui qui vient d’arriver en tête du premier tour en septembre est un ancien général du temps de la guerre civile : Otto Perez Molina, du Partit Patriotique.
Et pourtant, il est accusé de violations des droits de l’homme, envers notamment les populations Mayas. Qui vont ensuite voter pour lui, pour une histoire d’argent…
Le deuxième favori est apparemment soutenu par les narcos qui payent sa campagne…Il promet un 15ème mois, la peine de mort, plus d’argent pour le social tout en voulant réduire les taxes…
Des choses impossibles à tenir. Arrivés au pouvoir, ils diront « ha non, en fait, ce n’est pas possible, la situation ne le permet plus ». Le problème, c’est que la grande majorité de la population, sans éducation, le crois…Regardez déjà en France la réalité des choses, c’est la même chose mais à degré bien moindre heureusement. Alors dans un pays comme le Guatemala…
Les électeurs : des moutons manipulés par une oligarchie
Les électeurs sont réduits au rang de moutons. Manipulé. Beaucoup ne savent pas ce qu’est un Etat et son fonctionnement. Pour beaucoup, les impôts c’est de l’argent qui disparait et c’est tout.
40% de la population est indigène et 3 millions ne parlent pas espagnol. Une loi oblige les parties politiques à traduire dans les langues mayas, xinca et garifune. Mais rien. Le processus électoral serait-il raciste ? Beaucoup en tout cas ne vivent le processus électoral qu’en couleurs et symbole.
C’est une oligarchie de riches familles qui contrôlent le pays et le président. Ils se comptent sur les doigts de la main. C’est eux qui détiennent des pans entiers de l’économie du pays.
Ce qui veut : que les taxes soient encore réduites alors qu’elles ne sont déjà que de 12%.
Les politiques ne sont que des pantins, surtout que la corruption est ici générale. Un guide m’a dit que les multinationales du pétrole (il y en a un peu ici) ne reversaient qu’1% des profits au pays…C’est une somme ridicule. Les ressources sont pillés par les étrangers, les politiques acceptent, ayant sans doute reçu un pot de vin.
Lors des récentes élections à l’Assemblée, 128 députés sur les 150 nouveaux élus ont changé ensuite de partis au cours de leur mandat. Vous imaginez cela en France ? Oui, vous avez raison, certains à gauche l’ont fait… Opportuniste, quand tu nous tiens…
La question de l’éducation
C’est bien sûr l’éducation qui est la clef pour le développement du pays.
Le problème, c’est que l’éducation est le dernier des soucis du gouvernement. Et c’est conscient. Pourquoi l’oligarchie au pouvoir donnerait les moyens aux générations futures de voir plus clairement ce qui se passe ? Ils n’ont pas envie de perdre le contrôle !
Moi, pessimiste ? C’est bien possible…
Bien sûr, toutes ressemblances avec la situation en France est purement fortuite…
A écouter : le podcast Vivre au Guatemala
Qu’en pensez-vous ? Etes-vous surpris par ce genre de détails ?
Très intéressant Fabrice
Je me souviens avoir assisté aux mêmes genres de scènes en Equateur, dans un petit village. Enormes moyens de com pour une visite présidentielle (affiches, banderoles, dizaines de voitures de police, helico, etc.) pour une visite à… qq centaines d’habitants de la cordillère. En apparence, Correa fait des choses intéressantes mais uniquement médiatiques (projet écolo contre projets pétro en Amazonie, éducation) et d’un autre côté il censure la presse à gogo (cf. les incidents de sept 2010)… Idem en Bolivie avec Evo Morales. Ils partent tous d’un bon sentiment avec de grands projets pour leur nation et se font rattraper par le pouvoir et les cartels…ça rappelle aussi parfois la France comme tu dis, surtout en ce moment…
Julien, fondateur de travel VOX
Je connais pas l´Equateur Julien, mais j´imagine que cela doit etre a peu pres la meme chose. Peut-etre moins de narco tout de meme…?
Meme Morales?
Ah la vache c’est très surprenant ! Je me doutais bien que c’était pire qu’en France mais je ne pensais pas que ça allait jusque là …
En tout cas merci Fabrice pour cet article comme je les aime, à savoir un post sur les dessous du pays.
Merci, j´aime beaucoup aussi ce type d´article!
Oui , et encore j´ai pas trop creuse….
Déjà que la politique, ce n’est pas ma tasse de thé! L’ambiance pré présidentielle en France et tous les coups bas et petites phrases assassines qui font nos actualités, me rebutent.
Mais alors là, bravo! Ca fait même un peu peur, surtout pour les populations locales qui n’ont aucun moyen de tirer leur épingle du jeu…
C´est claire que la majorite est manipulee, et ne se rend pas compte de tout cela. Et si les autres s´en rendent compte, ils ne peuvent rien faire… Triste.
J’étais aussi au Guate pendant des élections et j’étais choquée par la campagne électorale qui consistait à distribuer des litres et des litres de Coca !
Pas mal celle-ci:-)!
Pourrais-tu preciser? Cela se passait au moment de voter?
Comme dit Fabrice, le problème de ces populations est le manque d’éducation qui les incite à voter pour le candidat qui promet le plus de choses. En même temps c’est dur de les blamer au sujet d’aller voter contre de l’argent alors qu’ils n’ont pas forcément de quoi manger.
La démocratie passe obligatoirement par l’éducation mais les « présidents » de ces républiques bananières n’ont pas intérêt à les éduquer. C’est un vrai cercle vicieux qui peut être très long à se résoudre s’il n’y a pas d’assistance extérieure (ONG qui créent des écoles, etc.)
En effet, c´est un cercle vicieux. Je vais paraitre pessimiste, mais le role des ONG est une goutte d´eau je pense.
Cela peut aussi passer par les rares personnes qui ont fait des etudes ou habites a l´étranger et qui reviennent et veulent changer les choses..Bon mais pour le Guatemala, il ne doit pas en avoir beaucoup…
Très instructif, je crois qu’on a tous entendu parler de ce que tu racontes dans ton post mais on ne se rend pas forcément compte de l’ampleur du problème…enfin des problèmes. C’est clair qu’éduquer la population serait un bon moyen d’améliorer les choses mais en même pourquoi ils feraient une chose pareille…C’est triste comme situation.
Pour info, l’entreprise qui exploite le pétrole guatémaltèque (95% de la production) est française. C’est Perenco. Ils exploitent en zone protégée et ont bien été servis par leurs amis politiques (notamment Baldizon, qui est l’autre candidat du 2è tour « lié aux narcos » dont vous parlez dans l’article), puisque son contrat a été renouvelé l’année dernière pour 15 ans avec l’accord de perforer 4 nouveaux puits malgré que le fait que la concession se situe dans la première réserve humide d’amérique centrale, protégée par les lois nationales et conventions internationales. Un rapport vient de sortir sur Perenco au Guatemala :
C’est eux aussi qui ont financé l’expo maya au Quai Branly cette année !
Très interessant Luisa, merci pour l’info!
Sans surprise, pétrole et magouille sont très souvent mêlés…
Comment sais-tu cela?
@Fabrice, sans être du tout spécialiste, en effet je pense qu’il y a en effet moins de narco en Equateur, si ce n’est le fait d’être frontalier avec la colombie et d’être un pays de transit pour les narcos. L’Equateur semble être (comme le Guatemala selon le post de Luisa) plus exposé à des affaires liant pétroliers, associations de lutte contre la déforestation, gouvernement corrompu, etc. Il y a de sombres affaires également là bas.
Je veut bien te croire concernant l’Équateur, il y a sans doute des histoires bien sombre aussi!
Tiens, je vais y passer en fevrier, si tu as des conseils, tu sembles connaitre?
J’y ai passé un gros mois en Juillet 2010 à la fin de mon tour du monde. J’ai adoré. J’ai prévu de mettre en ligne un nouveau guide de voyage sur l’Equateur sur travel VOX d’ici quelques semaines. Si tu souhaites des infos, hésite pas à m’envoyer un mail, ce sera avec plaisir. Du coup, tu as prévu de redescendre en Amérique du Sud dans les mois à venir ?
Je serais a nouveau en Colombie en décembre puis equateur, Perou, Bolivie en février mars!
C’était de même pour nous au Maroc, voire même pire !
En attente des élections du 25 novembre..
Pire tu penses?
C’est à dire? Je ne connais pas trop la situation.
une petite correction quand même: les royalies pétrolières sont de 20% avant correction à la hausse ou à la baisse pour la qualité. Sur la part restante l’état récupère minimum 44% (et jusquà 62%)et les boites paient leur impot sur la part restante… On est loin du 1% annoncé par le guide.
il y a beaucoup de légende au Guatemala autour de l’industrie en générale et surtout autour de l’industrie extractive (les légendes minières sont du même genre). beaucoup lancée par l’entourage de Rigoberta Menxu. laquelle malgré son appartenance Maya ne rassemble qu’1.5% des votes, ce qui même avec des votes parfois douteux reste extrèmement peu dans un pays où la moitié des des habitants sont d’origines Maya.
la division entre les différents peuples mayas et un sujet extremement préoccupant que le Guatemala ne sait pas encore affronter, contrairement au Mexique.
Merci de la correction, 20% cela reste pas énorme, surtout que sur les 20%, peu doit aller à la population.
Je me rappelle d’une étude au Nigeria qui démontrait sur les différentes niveaux du pouvoir, l’argent qui disparaissait. Impressionnant!
Je ne savais pas que les différents peuples Mayas étaient aussi divisés. C’est assez étonnant, je pensais qu’ils faisaient corps au contraire.
Bonjour Fabrice,
in fine c’est 20% en nature directement à l’Etat + +/-55% des 80% qui restent en paiement via impôts et participation (une fois les coûts d’opérations amortis). c’est un schéma classique de contrat de partage de production (pour référence en France la royalty est de 0 et tout est payé en impôts).
la comparaison avec l’Equateur serait meilleure qu’avec le Nigéria car il y a un systême qui oblige un paiement aux communautés urbaines alors qu’au Nigéria tout remonte et peu redescend ce qui a généré les problèmes d’insecurité dans le delta du Niger.
pour ce qui est des communautés mayas, c’est assez effarant de voir qu’ils préfèrent soutenir des « colons » plutôt que de s’unir. cela commence à venir dans l’Est du côté de Rio Dulce mais le problême reste la langue: comment tu le disais il y beaucoup d’illetrisme et comme le qaqchikel et le quikche ne se comprennent pas ils n’arrivent pas s’entendre.
je ne sais pas qu’elle est la solution magique pour unir les guatémaltèque car avec 50% d’origine espagnole et 50% de mayas il n’est pas question que l’un puisse nier l’autre. peut-être qu’avant de promouvoir les langues locales il faudrait mettre un gros coup sur l’espagnol (mais avec le risque que le pays soit attaqué pour la négation de leurs origines. un enseignement mixte à la bretonne?
Je vois que tu maîtrises le sujet!
Tu as bossé ou étudier le milieu?
L’unité dans un pays passe d’abord par une langue commune, on a vu cela avec le français chez nous:-)
Après, tu sais, c’est sans doute fais exprès de la part du pouvoir…Quels intérêts ils ont à unifier la population? Ils pourront moins la maîtriser ensuite!
De plus, si une partie de la population est analphabète, c’est encore mieux pour eux!
C’est cynique, mais je pense que c’est comme cela que cela marche…
Fabrice, c’est une agréable surprise que de lire ce billet de fond, politique. C’est qqch dont manquent bcp de blogs de voyage où l’on comprend que ce qui importe pour les blogueurs, c’est de consommer du paysage, plus ou moins, davantage que se poser des questions morales, politiques, économiques. C’est d’autant mieux venu que, tenant l’un des blogs les plus lus de la blogosphère du voyage, on peut attendre de l’exemplarité de ta part, ce que tu honores… contrairement à des ordures du type « Read Me I’m Famous » ou des incompétents du type Crabetan/Rock, seulement désireux de générer du blé à tout prix pour consommer du paysage à tout prix.
Vendredi, sur Ragemag.fr je publie un article d’enquête réalisé par l’une de nos élèves des ateliers francophones de journalisme, à Xela. Cela porte sur la prodigieuse nullité de la bureaucratie pourrie de ce pays pourtant si beau et si riche potentiellement. J’ai amendé et mis en forme le texte, que je cosigne donc. Voilà comment ça commence :
« Au Guatémala, on a du pétrole, mais on n’a pas d’idées. On a surtout une oligarchie blanche qui se contrefout de sa population, brade ses richesses pour quelques poignées de dollars aux compagnies étrangères qui peuvent en toute liberté dévaster l’environnement pour extraire de l’or (ô Gold Corp !) ou du pétrole (ô Perenco) et tant et plus, contre une taxation de 1% des revenus… et qui se contrefout de sa population (sauf quand il s’agit d’acheter le vote des illettrés et des pauvres pour la quadriennale mascarade électorale), de l’idéologie (tous néolibéraux et vive le capitalisme sans frein !), de son patrimoine historique & culturel. Dans ce paradis fiscal (sorti de la liste noire pour passer dans la liste… grise : LOL), le rêve libéral achevé ressemble à un néoféodalisme brutal, où règnent l’incompétence et la corruption de bureaucrates et de politicards véreux main dans la main avec le grand capital, les médias… et le narcotrafic. Dans ce contexte, quand approche un événement sacré pour les Mayas, peu importent les Mayas bien vivants, sur lesquels l’Etat préfère tirer : seul importe le potentiel de blé qu’il génère. Facile, a priori, d’organiser des événements pour une date connue depuis longtemps et qui, renouveau de l’intérêt pour le monde maya oblige, devait être une festivité à fort potentiel lucratif. Oui, en Europe, sûrement. Mais pas au Pays de l’éternel printemps, où le chacun-pour-soi et l’antipatriotisme sont la norme parmi la bureaucratie et les élites. »
J’ai pris bcp de notes au Guatémala, que j’escomptais développer par chapitre, mais je n’ai pas le temps : VDN et Ragemag.fr prennent bcp de mon temps et je renonce à développer ces notes. En revanche, je n’exclus pas, pour Ragemag.fr, de montrer par l’exemple guatémaltèque ce qui s’approche le plus du rêve néolibéral qui anime tant d’imbéciles bien-nés et qui n’ont sans doute jamais voyagé vraiment, càd hors de l’espace clos du Club Med, du chalet qu’ils louent ou de Cancun. Je te tiendrai au jus car je pense que ça te plaira bien, ma foy.
Tiens, concernant Cancun, ça aussi, ça te plaira bien. J’avoue que j’ai défouraillé comme une brute, mais avec style :
Enjoy
Merci pour ton commentaire:-)
Il faut dire que le Guatemala dans le style est presque un cas d’école…
Sinon pour le revenir sur les blogs de voyage, il faut aussi considérer que beaucoup de lecteurs (et de voyageurs) ne veulent pas entendre parler de la face sombre des pays où ils vont.
Un jour, une lectrice me l’a clairement dit. Elle voyage pour voir de beaux paysages, et non pour se poser des questions…
Je trouve cela dommage, mais c’est un courant de fond.
Sur IV, j’essaye à l’occasion de montrer aussi les côtés négatifs du voyage et des sociétés « paradisiaques »…
Heu, c’est qui Crabetan/Rock? J’ai pas trouvé sur le net?