Lettre à toi, lecteur d’Afrique
0Oui, je suis un nanti. Nous sommes des nantis.
Le voyage est une activité de riches, de personnes qui n’ont pas à survire et dont les besoins fondamentaux sont assurés. C’est un plus, un gros bonus dans la vie. Un cadeau que l’on doit se faire si l’on peut. Oui, j’emploie le mot devoir, car voyager ouvre l’esprit, car voyager est source de richesses, car voyager peut changer une vie… Bon, je te renvoie aux articles de ce blog de voyage à ce sujet, sinon, je vais en parler pendant des heures.
Voyager, c’est un luxe. Cela l’est de moins en moins au fil des années, mais cela le reste pour une grande partie de la population dans le monde.
En France, la grande majorité des gens peuvent partir à la découverte du monde. C’est quelque chose de tout à fait possible, il s’agit juste d’en faire sa priorité. La question de l’argent est secondaire. Oui, elle est secondaire chez nous, car si tu veux vraiment voyager, tu peux réussir à économiser. Il existe, en outre, des programmes d’échanges, des aides et bien d’autres choses. Je l’ai maintes fois expliqué ici sur mon blog de voyage. Certains en doutent encore, mais l’expérience m’a appris qu’il s’agit souvent de prétextes.
Tu sais, je viens d’un milieu populaire, mes parents sont de simples ouvriers. Pour autant, en France, même cette classe sociale peut se permettre de voyager à travers le monde. Ce qui n’est pas le cas chez toi.
C’est injuste. Tout cela grâce au taux de change et à une monnaie forte : l’Euro. Tout cela, car je suis né dans ce pays riche qu’est la France. Tout cela, car j’ai gagné à la loterie de la vie, je suis né du bon côté. Tout cela, car je suis né dans la bonne moitié de la planète, celle qui exploite l’autre moitié.
Or, chez toi, de l’autre côté de la Méditerranée, la chose n’est pas possible. Traverser la Méditerranée est plus une nécessité qu’un choix. Traverser cette mer n’est pas une croisière mais une galère, synonyme parfois de mort. La traverser est synonyme d’un avenir meilleur.
Tu m’envoies régulièrement des mails me demandant de t’aider à voyager ou à émigrer en France ou au Canada. Que puis-je faire pour toi ? Rien. Je n’ai pas le pouvoir de t’obtenir un visa ou autre. Et à vrai dire, si je pouvais, pourquoi le ferais-je alors que je ne te connais pas ?
Tu m’as même parfois demandé de l’argent pour te faire voyager, ou plutôt de faire quitter ton pays, ta famille. Mais je ne suis pas une ONG. Je ne suis pas un millionnaire disposant d’un budget pour t’aider en cela.
Ai-je le devoir de faire quelque chose ? Non.
As-tu du ressentiment envers moi ? Je le comprendrais. Mais, tu le sais, je ne suis pas le responsable de tout cela, de cette injustice, juste une illustration parmi d’autres.
Si j’avais le pouvoir de changer les choses d’un claquement des doigts, je le ferais sur-le-champ. Mas je ne peux rien faire. Cela peut paraître de la résignation pour certains, mais c’est juste la réalité.
Dans ces mails que je reçois, oui, il y a des traces de ressentiment. Il y a parfois un sentiment d’injustice, de jalousie, voire parfois presque de colère.
Il ne faut pas oublier que dans ton pays aussi, il y a une minorité qui a les moyens de voyager, car elle exploite la masse silencieuse de ton pays. Au final, c’est elle qui en premier lieu vole l’argent grâce à la corruption et qui s’enrichit sur les autres. C’est surtout à elle que tu devrais adresser ces mails.
Certes, il y a aussi la question du passeport, du bon passeport. Là aussi, cela fait une différence. Un passeport français ouvre bien plus de portes qu’un passeport togolais ou nigérian, c’est un fait. Il n’y a pas photo. Il y a un abysse entre les deux. Un visa demande alors bien plus de temps, d’efforts et de moyens. Encore l’argent, oui.
Je ne sais pas vraiment comment terminer cette lettre. Je me doute que ma réponse ne va pas t’aider, ni t’apaiser. Néanmoins, c’est une réponse et elle a le mérite d’exister.
Je te dirais bien qu’il y a une possibilité pour que tu puisses réaliser tes rêves de voyage un jour. Ou au moins le rêve d’une vie meilleure. Rien n’est impossible. Cette possibilité, même si elle est mince, existe.
Tu sais, ces mails, ces messages que tu m’envoies, je n’y suis pas insensible. Parfois, cela me touche, car pendant un instant, je me mets à ta place. Mais que puis-je y faire ? Rien. Alors, je ferme le mail, comme pour effacer tout cela.
J’espère que tu provoqueras cette chance, car elle ne viendra pas à toi toute seule. Il faudra aller la chercher avec une énorme volonté, une rage, et un peu de réussite.
C’est tout ce que je te souhaite, sincèrement.
Fabrice