Peut-on survivre à un tour du monde ?
3Une histoire d’amour éphémère
Il y a quelque temps, lors de mon dernier séjour à Paris, j’ai revu un pote. Posé à la terrasse d’un café, rue de la Jonquière, en ce beau mois d’octobre durant lequel l’été ne semblait pas vouloir se terminer, il me racontait l’histoire d’amour qu’il avait connue il y a quelque temps. Enfin, je devrais plutôt dire l’histoire d’amour extraconjugale qu’il a eue, car oui, mon pote est en couple depuis des années.
Comme souvent dans ce genre d’histoire, c’était passionné, fort et très sexuel. Une histoire de quelques mois qui s’est mal terminée, comme souvent dans ce contexte, aurais-je envie d’ajouter.
Je lui ai demandé comment il avait fait, comment il faisait, pour être revenu dans son couple après une telle histoire. Bien entendu, il est inutile de vous préciser que c’était plutôt la monotonie dans son couple depuis un moment. Il y avait une certaine forme de désamour, comme bien souvent dans les couples au long cours, qui tiennent davantage par la force de l’habitude, les enfants, la peur de se retrouver seul ou celle du changement. Ce n’est pas toujours le cas, hein… mais bon…
Il est vrai qu’il n’est pas facile de réintégrer la routine et sa vie d’avant comme s’il ne s’était rien passé. Ce qu’il avait connu, ce qu’il avait ressenti durant cette histoire passionnée était toujours présent, comme un fantôme qui restait en suspens, dans un coin de sa tête. J’ai lu quelque part que c’est avant tout la relation que l’on a que l’on aime, que l’amour est lié aux sensations que la relation nous procure, plus que la personne en elle-même. Bien sûr, les deux sont liés, mais vous avez compris l’idée.
Tiens, cela me fait penser à « La route de Madison » que j’ai vu dans l’avion il y a peu. Oui, les thèmes sont proches : le choix entre la raison et la passion, entre la sécurité et l’inconnu. Comme l’héroïne du livre et du film, il a choisi de rester, de revenir au sein de son couple.
Au passage, il y a une citation que j’ai retenue de ce film et qui pourrait s’appliquer à cet article : « Nous sommes les choix que nous faisons. ».
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Un tour du monde, c’est une histoire d’amour passionnée
Voilà, vous aurez compris où je voulais en venir :-). Oui, vivre un tour du monde, faire un break dans sa vie pour partir un temps plus ou moins long autour du monde, c’est une expérience intense, un peu à l’image d’une histoire d’amour courte, passionnée, qui est parfois finalement impossible. Cet épisode dans notre vie est d’autant plus intense qu’on sait qu’il n’est pas destiné à durer.
Mon pote a répondu à ma question en me disant qu’il avait du mal, forcément, à se recentrer sur son couple. Cela ne m’étonne pas connaissant sa personnalité plutôt passionnée. C’était encore assez frais, le temps n’avait pas fait son œuvre. Mais il se posait des questions, allait-il réussir à vivre avec ce fantôme, sans qu’il prenne trop de place dans son couple ? Allait-il pouvoir se retrouver dans sa relation comme avant ? Et avant tout, était-ce la bonne direction à prendre, le bon choix ?
Épineuse interrogation s’il en est. Chacun aura son point de vue sur la question. Je ne suis d’ailleurs pas certain qu’il y ait une bonne réponse, un bon choix… cela tient à la personnalité de chacun.
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Après coup, cela m’a fait réfléchir et penser à ces voyageurs revenus dans leur ancienne vie après un tour du monde. Pour beaucoup, ce tour du monde a changé leur vie, en mieux. Certains se sont rendu compte qu’ils avaient besoin de faire un boulot avec plus de sens, pour d’autres, ayant goûté à la liberté, il s’agissait de devenir leur propre patron ou de changer de ville ou de pays. Pour chacun, le changement a été plus ou moins important, mais il était bien là.
En fait, il leur était simplement devenu impossible de ne pas tenir compte de cette expérience. Cela aurait voulu dire nier une part d’eux-mêmes, eh oui, quelque part, nier ce qu’ils ont vécu.
Mais pour d’autres voyageurs revenus de tour du monde, le retour fut assez facile. Ils ont plus ou moins facilement réintégré leur vie d’avant, leur routine, leur boulot, même si cela ne les fait pas kiffer.
Ensuite, le temps a fait son effet. Ce tour du monde est resté comme une expérience fantastique, un souvenir unique, une parenthèse de fou. Mais une parenthèse qui n’était pas destinée à changer leur vie. Et au final, c’est comme cela qu’ils l’ont considérée.
Adaptation et changement
Si vous avez déjà fait un tour du monde et que vous faites partie de la première catégorie, vous allez me dire « Diantre, comment est-ce possible ? ». Bonne question.
Disons que c’est une question de caractère, d’attitude et de point de vue. L’esprit humain est fascinant sur bien des points. Nous avons tous une énorme capacité d’adaptation ainsi, et c’est lié, qu’une grosse capacité à nous raconter des histoires et à retravailler les choses à notre profit. À ce propos, je vous conseille le livre de Douglas Kennedy, « Toutes ces grandes questions ». Dans cet essai en partie autobiographique, l’auteur revient sur certains mécanismes humains qui nous éloignent du bonheur et de notre chemin. Il y décrit notamment ce mécanisme-là.
Souvent, nous faisons cela, car au moment T, nous n’avons pas les capacités, les ressources intérieures pour changer ou pour faire face. C’est en fait un mécanisme de protection, voire de survie dans certains cas.
Les cas extrêmes, ce sont les meurtriers qui nient ce qu’ils viennent de faire. Ils sont persuadés d’être innocents, même devant des preuves évidentes. C’est un phénomène bien connu des psychologues. En fait, c’est une protection psychique qui a pour but d’éviter de s’effondrer face à une réalité insupportable. Ce n’est pas conscient, ils peuvent donc être réellement dans le déni et se persuader de leur innocence.
Alors, peut-être que ces personnes réintégrant leur vie d’avant, sans changement aucun, sont un peu dans cette attitude. Pour l’heure, ils ne peuvent changer, aussi, ils ne s’autorisent pas à écouter leurs ressentis.
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Une bombe à retardement ?
Perso, je fais plutôt partie de la première catégorie. Mes voyages m’ont amené à de grands changements dans ma vie, à tous les niveaux. Après chaque voyage au long cours, après chaque expatriation, il m’a été difficile de retrouver ma vie d’avant, comme si de rien n’était.
Mais je sais que pour d’autres, il en a été autrement. Peut-être que ces personnes sont moins connectées à elles-mêmes. Peut-être qu’ils ont vécu ce voyage avec plus de distance, je ne sais pas. Ou tout simplement, ce voyage, aussi fort soit-il, n’est pas arrivé au bon moment dans leur vie pour qu’il produise un changement. Enfin, je ne suis pas sûr que le terme « bon » soit bien indiqué, car il implique un jugement sur un choix de vie qui appartient à chacun.
Certains arrivent davantage à être dans la raison, dans la rationalité. C’est également une forme de peur du changement. Mais tout dépend de comment on voit les choses, comme souvent.
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Tour du monde : changer de vie
Pour autant, il est difficile de penser qu’une telle expérience ne marque pas. Perso, je n’y crois pas.
Même si un retour n’implique pas forcément un changement de vie radicale, il n’en reste pas moins que des changements ont eu lieu et se sont installés chez vous, dans votre esprit. Ils font leur chemin, leur effet, petit à petit, avec le temps.
Pour avoir parlé avec beaucoup de voyageurs sur le retour, ces changements sont parfois nombreux et conscients.
Ainsi, pour Louanne, son voyage lui a permis de lâcher prise et de se recentrer davantage sur l’essentiel, et de façon générale, de moins se conformer aux attentes sociales. Ce voyage de huit mois lui a permis de prendre du recul sur la France et sa culture, de s’ouvrir plus aux autres. « Je pense que cela m’a permis de dépasser mes peurs et mes limites et de vouloir aller au-delà de ce que l’on peut entendre. »
Pour Sonia, le changement a été plus important, plus radical. Après deux ans autour du monde, « il y a eu comme une évidence, ce mode de vie est le nôtre, nous ne pouvons pas revenir en arrière. ». Sonia a réalisé qu’être nomade, c’est bien plus qu’un mot, c’est une façon de vivre, de voir la vie et de l’appréhender.
Sonia fait vraiment partie des gens pour qui ce tour du monde a eu un impact fort dans leur vie. Pour elle, il y a bien eu un avant et un après.
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En tout cas, oui, il est possible de garder cela au fond de soi, de faire une place à cette parenthèse et de continuer sa vie. Cela dit, je crois que pour la plupart, le souvenir restera quelque part, plus ou moins présent selon les moments, comme pour mon pote et son aventure.
Parfois, il se fera plus présent et poussera à des interrogations, voire à des remises en cause. Parfois, cette remise en cause se fera à retardement, des années plus tard.
Et vous, qu’en pensez-vous ? Vous qui avez fait un long voyage ou un tour du monde, quel fut votre ressenti au retour ? En quoi ce voyage, ce tour du monde a-t-il changé votre vie, ou pas ?
Et voici un tour du monde avec des enfants !
Un bon sujet Fabrice!
En fait, si le voyage est une fuite de soi-même, on le paye toujours un jour ou l’autre… comme la relation amoureuse d’ailleurs, tu as raison!
Si le voyage est vécu comme une rencontre de soi et de l’autre, elle peut aider à fleurir notre quotidien et l’enrichir.
Mais pourquoi faire le tour du monde, pourquoi vouloir tout avaler d’un coup, pourquoi cette hâte de vivre follement ?
Pour d’étourdir, s’enivrer d’images, un peu comme le beach- drunking….
Pour ma part, je préfère donner du temps au temps et laisser les images et les sensations infuser durablement dans ma tête et dans mon cœur….
Cordialement
Le retour de mon premier tour du monde a été difficile pour moi, en 2012. Et puis, je me suis rendu compte que finalement je pouvais repartir… et cela a bien apaisé les choses. Je suis finalement repartie en 2016 et là je suis sur le point de repartir une 3è fois au long cours (8 mois). Le fait de savoir que je peux repartir me procure de la sérénité, et me permet de mieux profiter de chaque instant.
Mais j’allais dire, on peut toujours repartir :-).