Un été à part : comment j’ai vécu mon retour en France après quatre mois de confinement à l’étranger
3Comme je le racontais ici, j’étais en Colombie au moment du confinement en mars. Confinement qui a d’ailleurs débuté en même temps qu’en France.
Fin juillet, j’ai pris un vol de rapatriement pour passer l’été ici et, surtout, pour voir mes parents qui ont des soucis de santé.
Ce retour en France après cette période spéciale a eu un goût particulier. Pouvait-il en être autrement ?
En définitive, j’ai fait un retour sur des choses essentielles de ma vie. Un retour, mais aussi une exploration.
Retour au vert en Ardèche
Après quatre mois confiné dans une grande ville comme Bogota, vous imaginez bien que j’avais un gros besoin de retrouver la campagne et le vert. Certes, le confinement (qui vient juste de se terminer) était plus light qu’en France, mais tout de même… quatre mois… c’est long…
Et comme c’était prévisible, j’ai grave déconfiné au vert. Je me suis posé à Préaux, là où j’ai grandi. Au centre du village, en face de l’église, il y a un chouette bar-restaurant avec une grande terrasse et des tables sous les arbres : l’Effet local. Ils organisent même des concerts et le couple qui tient le commerce est tout à fait charmant. En plus, cette terrasse était la cour de mon école primaire autrefois. Il reste encore une vieille carte de la France physique sur un mur. Je me souviens encore de cette carte dans la salle de classe.
En fait, j’en ai fait mon bureau pour tout vous dire. Enfin, bureau, c’est un grand mot, car je n’ai pas beaucoup bossé… J’ai passé plus de temps à lire et à discuter avec les gens. De bons moments.
J’ai aussi revu des copains d’enfance. Pour certains, cela faisait un sacré bout de temps que je n’avais pas revu leur tronche. C’était vraiment sympa. J’ai eu l’impression qu’il y avait une demande, une envie. Non seulement de ma part, mais aussi de beaucoup. Ce n’était pas comme les autres années, non. Il y avait un truc à part, je ne sais trop quoi. Un besoin de reconnexion ? Peut-être, l’avez-vous ressenti aussi de votre côté ?
Sur la terrasse de l’Effet local, on s’est rappelé de bons souvenirs, notre enfance, l’époque des conscrits (quand on chantait les mais, certains comprendront), les bals ardéchois et les soirées à la salle des jeunes autour du baby-foot, les premières amours, etc. Bref, vous voyez le topo.
On s’est demandé ce que devenaient certains. Ici, une partie est restée au village, ou pas loin. Les autres sont partis ailleurs, dont moi. Étonnant de voir la trajectoire que chacun a suivie. Certaines étaient prévisibles, d’autres non.
J’étais parfois là le matin, le temps de prendre un café en allant chercher une flute. Oui, on dit cela pour un pain ici. Et on dit pain au chocolat. On retrouve souvent les mêmes devant le petit verre de rosé de bon matin…
J’ai aussi passé du temps à mieux connaître et comprendre ce territoire où je suis né, son passé, son présent. C’était riche d’enseignements. C’est dingue de voir à quel point la vie a changé ici en 60 ans : la mobilité, le travail, la famille et l’amour, l’indépendance des femmes, la place de la religion, etc. Deux mondes différents. Si près et si loin à la fois.
Ce fut pour moi l’occasion de repasser dans les journaux locaux comme le Réveil et le Dauphiné avec ce titre on ne peut plus vrai. Même pour quelques lignes dans un journal local, ma mère achète plusieurs exemplaires. Je trouve cela mignon.
Je me rends compte combien j’ai été chanceux de grandir ici à la campagne, dans un cadre privilégié. Cela dit, je le savais déjà. J’aurai grandi dans une grande ville, je vous tiendrais peut-être le même discours. Après tout, lorsque l’on ne peut pas comparer, notre vécu personnel n’appartient qu’à nous.
Il n’empêche… Les champs, les voisines du quartier, les tracteurs, le son des cloches de l’église… Chaque coin ici est attaché à un souvenir. C’est fort, c’est une force. Cet été, tout cela m’est apparu avec plus d’intensité. Ou plutôt, tout cela s’est imposé à moi.
J’ai des racines, certaines. Sans doute est-ce ce qui me permet aussi de partir loin, souvent, car je sais où revenir. C’est un peu la fable de l’arbre et de la pirogue si vous connaissez.
Un monde qui disparait
Durant cet été, il y a eu de belles choses, mais aussi des choses disons angoissantes.
Je suis rentré et j’ai vu mes parents diminués, vraiment. Surtout mon père avec qui il est devenu presque impossible d’échanger. Un petit garçon qui a essayé d’attirer son attention et ses paroles, c’est le résumé en somme de cette relation entre deux étrangers au final.
Je crois que cela fut encore plus dure de constater cela sur ma mère, elle qui a toujours été la plus forte (comme c’est souvent le cas en fait).
Je rentre souvent, pourtant, ce fut la première fois que j’ai vraiment remarqué cela, sa fragilité. C’est comme si mon regard avait changé d’un coup. Déstabilisant.
Les premiers jours, c’était un peu angoissant. Je rentre en France au moins une à deux fois par an, mais, cette fois-là, c’était plus visible. Ou peut-être aussi que j’ai fait plus attention. Mon regard avait peut-être changé. C’est aussi difficile peut-être d’accepter que l’on ne peut rien faire. On aimerait que les choses ne changent pas, que ce monde que l’on aime ne bouge pas. Mais bien sûr, ce n’est pas possible. Ce n’est pas la vie.
Retour vers le passé
J’ai profité de cette période spéciale pour me pencher sur l’histoire familiale. Celle-ci restait floue à mes yeux. Disons que maintenant, c’est un peu plus net.
Bien sûr, je n’en aurai jamais un tableau complet, ce n’est pas possible. Des proches ont disparu, la mémoire a ses limites et puis, vous le savez, on déforme toujours la réalité des choses pour coller à notre vision, à nos paradigmes et à nos névroses.
Pour autant, je pense, je suis même sûr que faire ce travail est nécessaire, pour tous. Et plus vous le faites tôt, mieux c’est pour vous et pour compléter le tableau.
Je ne sais pas pourquoi j’ai attendu tout ce temps pour le faire. Vraiment.
J’imagine que, simplement, ce n’était pas le moment pour moi. Peut-être que cette crise sanitaire, le fait de revenir et voir mes parents diminués ont déclenché cette envie.
J’ai donc interrogé ma mère, longuement. J’ai notamment voulu savoir quels avaient été ses espoirs, ses doutes, ses regrets, ses échecs, ses réussites aussi. Ce qui fait la moelle de la vie en somme. Pour mon père, poser des questions n’est plus vraiment possible.
J’ai plongé dans l’album photo de mon père et de ses deux ans passés en Algérie pour cette stupide guerre. J’ai retrouvé aussi des photos jaunies par le temps, des lettres, du matériel qui éclairent certains aspects de leur vie et donc de la mienne. Beaucoup de choses sont liées.
Il y a cet oncle dont j’ai retrouvé la photo, décédé à 20 ans en plein repas dominical, victime de son cœur. Et de cet autre oncle, en froid avec mon père pendant la plus grande partie de sa vie. Ils ne se sont réconciliés que la veille de sa mort.
Il y a la photo de ce grand père mort jeune et que je n’ai jamais connu. Il est décédé quand ma mère avait 7 ans. Un drame. Croyez-le ou non, je n’avais jamais vu sa photo avant… Pourtant, j’ai senti tout de suite un lien avec lui de par une ressemblance physique qui me paraît évidente. Ce front, ces sourcils. Ou peut-être, c’est juste moi qui me suis créé tout seul ce lien…
C’était l’un des fantômes de la famille. Il paraît qu’il y a des secrets dans chaque famille, des non-dits. Sans doute. Dans la mienne, il y en a plusieurs. Et puis, on n’a jamais été trop dans la communication entre nous, j’en porte encore le fardeau. Mais il est vrai que c’était chose assez courante à l’époque, dans ce milieu et dans ces territoires.
En parlant de fantômes, durant cette période, j’ai justement lu cet ouvrage : « Les fantômes familiaux » de Bruno Clavier… Intéressant. C’est même fascinant de voir combien nous pouvons répéter des schémas et des choses de génération en génération. Un livre que je vous conseille.
Je vais continuer ce travail dans les mois à venir. J’ai encore des questions.
Retour au voyage local
Depuis mon retour, j’ai fait du tourisme et j’ai voyagé. Mais ici, tout près, dans une région que je pensais bien connaître. En fait, il n’en était rien. J’ai réalisé que je ne connaissais pas tout, loin de là.
Surtout, j’ai eu envie de découvrir davantage ma région natale, la communauté de communes du Val d’Ay. Pour vous situer, ce sont des petits villages situés sur le plateau ardéchois, entre la vallée du Rhône, les montages ardéchoises et le parc national du Pilat. La grande ville du coin, c’est Annonay, à 15 km de mon village Préaux.
Ici, coule une rivière, l’Ay.
Un paysage de collines et de montagnes, c’est l’Ardèche verte, très différente du Sud. Jusqu’aux années 60-70, la région était pauvre. Une région d’agriculture de subsistance. Puis des usines textiles se sont implantées, notamment à Ardoix et à Satillieu. RVI, Renaut a développé une usine de production de bus à Annonay. Nombreux furent les fils et les filles de paysans qui sont allés y chercher du travail.
Ma mère en fit partie. Pendant deux ans, elle, sa sœur et ma grand-mère marchait six kilomètres par jour pour aller prendre le bus pour l’usine. C’était avant que ma grand-mère achète sa 2CV blanche que j’ai tant aimé. La région devint alors un peu moins pauvre et les femmes se sont émancipées. Une histoire très française.
Ma région natale est aussi une terre très catholique, le nombre de croix sur les routes le prouve. Lalouvesc et ses saints, Notre Dame d’Ay et sa vierge noire sont deux centres de pèlerinage local. J’ai accompagné ma mère à la messe du 15 août à Notre Dame d’Ay. Je ne suis pas croyant, mais le cadre est tellement bucolique que cela passe tout seul.
La région fut aussi une zone de contact durant les guerres de religion, avec des incursions et des attaques protestantes. Des églises ont été prises et reprises. Je me suis rendu compte de l’importance de ce pan de l’histoire méconnue. Il y a notamment une randonnée qui passe par des maisons fortes qui ont été brulées autrefois durant ces heures sombres.
Il ne reste malheureusement que des ruines de châteaux féodaux, comme celui de Seray à Préaux et surtout celui des seigneurs de Mahun à Saint-Symphorien-de-Mahun. Ce château, siège de la seigneurie d’alors appartenait à la famille de Pagan, qui serait peut-être, il y a débat, à l’origine de la création de l’ordre des Templiers. Rien que ça.
Un jour, si je me motive, je vous ferai un article pour découvrir ce coin d’Ardèche.
Je suis donc retourné dans ces lieux. J’ai posé mes pieds pour la première fois dans certains d’entre eux. Et je vous avoue que j’ai eu un peu honte de le faire après tout ce temps. Par exemple, je n’étais jamais allé dans le centre de Quintenas, un village voisin. Fou.
Il faut dire que je m’arrêtais toujours sur la place de l’église et la grande rue où passe la route départementale et où se situent tous les commerces. Curieusement, je n’ai jamais eu l’idée de pousser plus loin et de marcher dans le centre du village. J’ai découvert quelques rues charmantes, de vieilles bâtisses et même deux rues voutées. Comme quoi…
Même dans mon village, j’ai exploré d’autres territoires, sous un autre angle.
Mon regard avait juste changé. J’ai pu ainsi voir les choses différemment, avec un œil nouveau. Oui, je connaissais le genre de maxime qui dit que le voyage commence en bas de chez soi et tout le tralala. C’est vrai, c’est une réalité. Et changer votre regard, cela ne s’applique pas seulement au voyage, mais à toutes les dimensions de votre vie.
La suite
Vous l’aurez compris, je n’ai pas été très productif pendant ce mois-là. Et cela fait du bien. Aucune culpabilité. C’était bon.
Au final, cela n’aurait-il pas été assez curieux que je ne prenne pas un break avec tout cela ?
Aucun article publié sur le blog. J’ai juste continué les posts sur Instagram et Kairos, ma lettre.
Et non, je n’ai pas voyagé en Europe, ni même en France. Pour une fois.
Il y avait bien un projet pour l’Islande avec un copain, mais la quarantaine instituée à l’arrivée a quelque peu calmé nos ardeurs.
Il est temps de se remettre en mouvement désormais, au moins au niveau de la productivité et des projets.
La suite est pleine d’incertitudes, à tout point de vue, à commencer par mon activité pro.
Les choses ne semblent pas trop s’améliorer, ou à peine. En mars-avril, j’étais vraiment optimiste. Seulement maintenant, j’ai compris qu’il va falloir du temps, beaucoup de temps…
En attendant, je ne vais pas transformer mon blog de voyage en « voyager en France ». Beaucoup de blogueurs ont pris ce chemin largement forcé, même si tous ne vont pas le reconnaître.
Il y a encore beaucoup de lieux que je ne connais pas en France et que j’ai envie de voir aussi. Mais clairement, ce n’est pas la même motivation pour écrire. Aussi, je n’ai pas envie de me faire un plan « forcé » afin de pallier les pertes. J’ai toujours placé le plaisir au cœur de mon activité, je ne vais pas changer maintenant à cause de ce virus.
Je préfère encore me positionner sur d’autres activités, autres que le voyage.
Cette année, pas de Digital Nomad Starter, trop risqué. Je ferai peut-être quelque chose en ligne.
En attendant, n’oubliez pas que les conférences de la dernière édition sont disponibles ici.
Mon livre « Libre d’être digital nomad », que j’ai rendu à mon éditeur juste avant le confinement, a enfin une date de sortie fixé ! En ce moment, il est chez l’imprimeur, hâte de l’avoir dans les mains.
La date : le 22 septembre !
Dans toutes les librairies de France et de Navarre, comme on dit.
Vous pouvez déjà le commander de suite ici.
Si jamais vous passez dans ma région natal début octobre, je ferai une présentation du livre et de mes 10 ans de blogueur voyage pour la bibliothèque municipale de Préaux. Vous passez ? 🙂
Incertitude aussi sur mon retour en Colombie. Pas de vols commerciaux, compliqué…
Enfin… L’incertitude a toujours eu chez moi un côté excitant. Pas vous ?
C’était un été particulier, au milieu d’une année particulière pour tous.
L’année prochaine, on se dira « souviens-toi l’été dernier… »
Et vous, comment avez-vous vécu cet été ?
J’aime bien la prose, la simplicité presque naïve – native? – du voyageur-auteur…
J’aime bien aussi la photo de la porte en bois, un peu déglingue comme si elle datait d’avant-hier. Et pourtant le mur en pierre indique que la propriété a traversé les siècles. Troublant, intrigant, mystère!
Et puis, l’on ne sait trop si le photographe, le passant d’un jour, le voyageur au long cours, vient juste de sortir et se retourne une dernière fois avant de continuer sa route. As a poor lonesome cow-boy….. Ou au contraire, s’il s’apprête à rentrer au bercail, au terme d’une longue route. As a poor lonesome cow-boy…..
Paysan ou voyageur? Ou est la différence? Le premier écrit le mot « pays » avec un « s » au singulier. Le second écrit le mot « pays » avec un « s » au pluriel. C’est bien çà la différence, n’est-ce-pas? Où est la différence, alors? Y-en-a-t-il vraiment une?
Un jour, je voyagerai. Je voyagerai à nouveau. En bougeant! Ou peut-être pas!
C’est comme celà que la langue bretonne est devenue un voyage pour moi. Mod-se eo emañ ar yezh deuet da vezañ ur veaj evidon-me. Ha c’hwi? Et vous?
Intéressant, Fabrice, ce retour aux sources. Ton voyage intérieur ne manque pas de saveur, même si certaines pentes de la vie sont plus ardues que d’autres. Je regrette juste le côté « année de merde” … Les épreuves ont un sens et si on les accepte comme telles, elles nous fortifient.
Ton père silence est beau dans son habit ardéchois tout plein du parfum des arbres et des prés, des herbes et des fleurs, des champignons aussi. Il te parle sans cesse dans le vent qui souffle par là – bas. Ecoute- le encore et encore et tu sauras combien sa pensée ne te quitte pas.
Sa main rugueuse posée sur la tienne et tous ces mots que le cœur garde en soi pour ne pas leur ôter la saveur du sacré et de cet amour indicible qui se noue au fil d’une vie.
Et moi qui faisais depuis quelques années un voyage et parfois plusieurs par an en Amérique latine, un ou plusieurs au Brésil où vis une de « mes familles », celle de mon fils , j’avais décidé de parir en Afrique du sud le 23 mars 2020. Annulation… Je suis encore très frustrée et n’ai m^me plus l’envie de voyage (à mon âge, ça devient difficile…).
Je m’autoconfine, en quelque sorte pychologiquement. Heureusement je suis une bricoleuse et je lis… en ce moment, grâce à des livres cadeaux, un grand intérêt pour le chamanisme. Je suis ainis un peu en Amazonie et en Mongolie, un continent que je connais très peu.
Je suis attentive à ce que sera le voyage de demain, découverte et écologie…