Visiter Istanbul 15 ans après : ce qui a changé
4Je ne suis pas du tout contre le fait de revenir dans un lieu déjà visité, bien au contraire, je suis souvent retourné dans des pays que j’aime. Faire la course à la collection de tampons de visa n’a jamais été une ligne directrice. En passant, je ne suis pas un grand fan de la question qui revient toujours quand on sait mon activité : « combien de pays ? » Je trouve que c’est très réducteur et ça me soule toujours de répondre.
Cela faisait quinze ans, à peu de choses près que je n’étais pas revenu à Istanbul. J’avais apprécié mon premier séjour. Istanbul avait été alors la dernière étape d’un road trip à travers l’Europe de l’Est à bord d’une 205, avec un ami. Un trip mémorable ! Quand on m’a proposé d’y revenir une petite semaine, je me suis dit pourquoi pas.
Au cours de mon séjour, je me suis souvenu de ce premier voyage à Istanbul. Des choses ont changé en quinze ans, non seulement à Istanbul, mais dans notre façon de voyager, dans ma vision du voyage et dans ma vie. Je me suis dit que ce serait un exercice intéressant d’écrire à ce sujet.
Istanbul quinze ans après : un exemple de la pression touristique
Istanbul n’a pas fondamentalement changé en quinze ans et, de toute manière, je ne suis pas à même d’écrire clairement dessus, il aurait fallu pour cela que j’y passe bien plus de temps. Les sites sont les mêmes bien sûr, par contre, certains quartiers ont été restaurés et certains monuments comme la Mosquée Bleue ou Sainte-Sophie sont encore en travaux. La Sainte-Sophie que j’ai pu visiter en 2019 est plus impressionnante que celle de 2004.
Ce qui m’a surtout frappé, c’est la pression touristique bien plus grande qu’il y a quinze ans, et pourtant, j’étais ici exactement à la même époque, mi-aout. Vraiment, il y a bien plus de touristes, au point que certains sites sont presque saturés par la fréquentation.
Autre fait marquant, le grand nombre de Chinois qui représentent une part notable des touristes. Et dire que leur nombre va sans doute augmenter largement dans les prochaines années… En 2004, je ne me souviens pas d’avoir vu de touristes chinois.
On peut se poser la question de la surfréquentation de certains sites, à l’image de ce qui se passe ailleurs dans le monde. Nous avons visité la Citerne, l’un des sites les plus visités tout près de la Mosquée Bleue et de Sainte Sophie. J’ai trouvé que c’était limite au niveau de la fréquentation, surtout que les couloirs aménagés entre les piliers du réservoir sont étroits. Je me dis que oui, il faudrait vraiment se poser la question des quotas. Certains sites nécessiteraient une réservation sur Internet afin de réguler le nombre de visiteurs par heure.
Tout le monde serait gagnant, du moins le voyageur. Par contre, de l’autre côté, cela demande plus de moyens, de logistique et cela signifie moins de rentrées financières. Et comme toujours, c’est là le point de friction…
La façon de voyager a bien changé en quinze ans
Il s’agit ici d’une époque, pas si lointaine, qu’une partie d’entre vous ne connaît pas.
Au début des années 2000, les réseaux sociaux n’existent pas encore vraiment. Facebook ne sera ouvert au public qu’en 2006. Le phénomène des blogueurs et des influenceurs n’existe pas non plus. Certes, les blogs existent déjà, mais ce que l’on peut faire avec est limité. À l’époque, le temps passé sur Internet en voyage était bien moindre. Pour ma part, il se réduisait à la consultation de mes mails dans un cyber café et à lire des infos du pays, tout au plus.
Quinze ans après, la situation est toute autre. Terminé les cybercafés, tout tient dans son smartphone et le voyageur passe bien plus de temps sur Internet, notamment sur les réseaux sociaux.
Le nombre de personnes prenant des selfies a explosé. Et, sur certains sites déjà bondés, c’est parfois vraiment pénible. D’ailleurs, dans les endroits encore plus instagramables, les gens font la queue pour leur photo. C’est quand même à la limite du ridicule. Et je ne vous parle pas du nombre de morts par selfie, bien plus important que celui des décès dus à des requins… En 2005, cela devait être vraiment très, très rare.
Le développement d’Internet a entraîné aussi d’autres attitudes. Par exemple, le voyageur lambda demande moins son chemin aux locaux, grâce notamment à Google Map. Résultat : moins de rencontres et d’échanges avec les locaux.
Désormais, le voyage fait moins la place à l’imprévu. Vous pouvez tout planifier si vous en avez l’envie. D’une manière générale, nous sommes dans une société qui laisse de moins en moins la place au risque, dans tous les domaines de la vie et le voyage n’échappe pas à la règle. Internet est un bon outil pour cela. Peut-être sommes-nous aussi plus sensibles à la frustration, à l’attente ; nous voulons tout rapidement en évitant les déconvenues et les échecs.
En 2004, Airbnb n’existait pas. Depuis lors, c’est devenu une façon de se loger en voyage. C’est d’ailleurs ce que nous avons fait à Istanbul. Pour une semaine, le choix s’est porté sur un appartement sur Airbnb. Je trouve que c’est un plus pour les voyageurs, car c’est avantageux par rapport aux hôtels quand on est à plusieurs. Cela dit, Airbnb entraîne parfois des problèmes dans certaines villes : hausse des loyers, gentrification, etc.
Les paiements en carte bancaire à l’étranger sont bien plus courants qu’en 2004. Pour le coup, c’est un plus, moins de temps à passer à changer l’argent.
Les guides papier, comme Le Routard, ont perdu de leur influence. Ils sont beaucoup moins utilisés pour trouver un hôtel ou un restaurant. Là, Internet a clairement pris le relais. Des sites comme Booking ou TripAdvisor se sont imposés et permettent de trouver rapidement un hôtel en se basant sur des avis d’utilisateurs. D’autres, comme « Get your Guide », vous permettent de réserver une activité partout dans le monde. L’ubérisation de l’économie a également atteint le secteur du voyage avec des locaux qui deviennent guides, des particuliers qui louent leur logement, leur jardin, leur parking, leur bateau, leur voiture, etc.
Bien sûr, faire un tour du monde est devenu quelque chose de plus accessible et de plus répandu, même si cela reste finalement marginal. Comme je le disais, la surfréquentation menace certains sites et l’homme étant grégaire, il suit généralement le troupeau. Certaines destinations concentrent les backpackers comme l’Asie du Sud-Est où chaque grande ville possède son quartier routard.
Au final, avec l’explosion des low cost, il n’a jamais été aussi facile de préparer son voyage tout seul, de chez soi et cela à un prix plus bas. Avec Internet et les blogs de voyage, entre autres, il n’a jamais été aussi facile de trouver de bonnes infos, conseils et tips pour voyager.
Désormais, il est aussi possible d’acheter son billet d’entrée sur les sites via le Web et d’éviter ainsi la queue. Une bonne chose.
Autre phénomène : le voyageur passe maintenant plus de temps à prendre des photos. En 2004, le numérique en était à ses débuts, beaucoup de personnes se servaient encore de l’argentique. Pour le voyageur lambda, vous passiez moins de temps à prendre une photo en raison du coût et de l’impossibilité de rectifier le tir sur-le-champ. Avec le numérique, on prend bien plus de photos qu’avant. Mais au final, pour quel résultat ?
Perso, je me souviendrais toujours de mon impatience et de ma joie lorsque je venais chercher les photos d’un voyage au labo photo. L’attente, l’excitation au moment d’ouvrir l’enveloppe. En général, je me posais à une terrasse de café pour revivre mon voyage et découvrir les belles photos, mais aussi les ratées. Aujourd’hui, qui fait cela ? Personne.
C’est un plaisir qui s’est perdu. Certes, les appareils photo instantanés existent toujours, mais s’il ne s’agit pas ici de numérique, il s’agit tout de même d’instantanés. Je crois que l’on a perdu le temps d’attendre.
C’était mieux avant ?
Franchement, je ne sais pas. À vrai dire, je ne suis pas un grand fan de cette expression. De toute manière, il y a toujours du positif et du négatif en toute chose. Et surtout, la question est biaisée d’entrée de jeu.
En effet, c’est un biais cognitif, nous avons tous tendance à retenir avant tout les choses et les expériences positives et agréables. De plus, les voyages d’alors sont attachés à une époque, une autre époque, heureuse et insouciante. Il peut être difficile de faire la part des choses, d’enlever cela de son contexte.
Il y a tout de même un aspect négatif, c’est la starbuckisation du globe, pour reprendre une expression de Sylvain Tesson. Et là, difficile de voir cela comme une chose positive. En effet, on retrouve partout dans le monde les mêmes marques, les gens écoutent les mêmes tubes, voient les mêmes blockbusters, etc. Quand on voit sur la place de Cuzco un Starbuck, cela casse un peu l’ambiance. Et encore, c’était en 2011… Ce phénomène a bien progressé depuis 2005 et il n’est pas près de s’arrêter. À l’avenir, les villes se ressembleront toutes et deviendront de plus en plus des espaces uniformisés.
Heureusement, il reste toujours des espaces qui échapperont à cela : la nature et les grands espaces justement. Les paysages des Andes resteront toujours uniques, tout comme les fjords impressionnants de Norvège. Les déserts d’Afrique resteront et les grands espaces de l’Ouest américain seront là, pour toujours.
Ma vie a bien changé en quinze ans
Comme tout le monde au final. En 2004, au niveau professionnel, je me cherchais. Depuis, je me suis trouvé. En 2004, j’étais dans une autre ville, dans une autre relation amoureuse. Des amis ont disparu de ma vie ou se sont éloignés, d’autres sont apparus et m’accompagne depuis.
À cette époque, je voyageais depuis peu. Maintenant, le voyage occupe une grande place dans ma vie. J’en ai même fait mon métier en créant ce blog en 2010.
Plus que cela, plus que ces changements, c’est ma façon de voir la vie qui a changé.
Ce qui a surtout changé, c’est de me rendre compte de la complexité de la vie. On devient moins idéaliste, plus réaliste. On réalise que le noir et le blanc n’existent pas, que tout le monde fait comme il peut et que rien n’est parfait.
On prend plus conscience du temps qui passe et du peu qu’il nous reste, du moins en bonne santé. On se rend compte que nous n’avons pas tant de choix que cela dans la vie. On se rend compte qu’on a moins de possibilité devant nous avec le temps qu’il passe, qu’il faut choisir ses priorités avec soin, que le temps est compté. On se rend compte aussi qu’on a moins de liberté en réalité qu’on le pense.
On s’aperçoit aussi que nous nous racontons tous des histoires, que chacun s’arrange avec la vérité à un moment…. et que c’est humain. On se rend compte qu’un certain nombre de choses sont des illusions, mais ce sont des illusions dont nous avons besoin.
On se recentre aussi sur les priorités qui ont changé. On se recentre davantage sur les relations qui comptent et la famille.
On se connaît davantage. On a pardonné à ses parents leurs imperfections. On a essayé de se défaire de ses liens de loyauté souvent invisibles avec notre famille qui nous limite. Ou parfois, nous avons échoué.
Bref, on est un peu moins cons. Oui, quand on a vingt ans, on est vraiment à l’ouest sur plein de choses et surtout on a rarement la lucidité de le voir et de le reconnaître, évidemment. On se connait mieux et on a un peu plus conscience des réalités de la vie. Un peu plus. Parfois, je trouve que la vie, c’est comme un oignon. Sous chaque couche, il y en a une autre qui apparait dés qu’on enlève la première. Et ainsi de suite. Vous voyez ?
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Oui, cette semaine à Istanbul fut un bon moment. L’appartement était chouette avec une vue sur le Bosphore, près de la tour de Galata. Cela ne me déplairait pas d’y passer quelques mois en mode digital nomad. J’en ai rencontré un d’ailleurs, un Français, qui avait vraiment l’air de s’y plaire !
Revenir dans une ville quinze ans après est parfois riche d’enseignements. J’ai visité Istanbul et je me suis interrogé sur ce qui avait changé depuis ma dernière visite, pas seulement sur cette ville, mais surtout sur le voyage, sur notre façon de voyager et sur moi-même.
Cela vous ai déjà arrivé de revenir dans un lieu que vous avez aimez bien après à un autre moment de votre vie ?
Tout à fait d’accord avec l’invasion touristique à Istanbul,c’est insupportable,je fuis tous les endroits bourrés de groupes et ayant été moi-même guide-accompagnatrice en Turquie ,cet engouement et ces selfies me gonflent .Il faut choisir des quartiers fréquentés par les Turcs ,il y en a !Le + pénible= les arnaques ,payer 2 fois la même note au resto ,ouvrir l’œil …. une manie à Istanbul…
Du coup, plus de l’autre côté du Bosphore?
Finalement cet article traite surtout de l’impact du tourisme en 15 ans dans le monde et dans le comportement des voyageurs plus que du tourisme à Istanbul même. Le côté authentique d’Istanbul et de la vie turque se trouve depuis quelques années de l’autre côté du Bosphore, notamment dans les quartiers de Moda et Kadıköy, alors qu’İstiklal Caddesi se vide peu à peu.
Oui, c’est plus authentique de l’autre côté, en Asie 🙂