Le voyage, ce confessionnal à ciel ouvert qui met les masques à terre
0Une brique hors du mur
À l’étranger, vous n’êtes plus dans votre environnement familier, votre culture. Il n’y a plus ces codes culturels, ces loyautés invisibles, conscientes et inconscientes à la société et à vos proches et à votre famille.
Nous sommes tous un peu comme une brique dans un mur. Alors, bien sûr, nous avons une marge de liberté et de mouvement, un peu comme si cette brique avait un peu d’espace avec ses voisines. Selon notre histoire, notre milieu, la marge est plus ou moins importante. Mais au final, c’est assez limité, non en théorie, mais dans la réalité. C’est un peu le débat entre le déterminisme et l’existentialisme d’un Sartre en somme.
Lorsque vous êtes en voyage, du moins pendant un temps assez long, vous n’êtes plus cette brique prise dans ce mur. Vous êtes plus libre d’être qui vous êtes et de montrer qui vous êtes vraiment.
Quand je partais de long mois autour du monde, je me souviens qu’il me fallait quelques semaines pour me sentir m’éloigner de tout cela, de ces codes, de ces schémas de pensées, cela afin d’être davantage moi-même. Je ressentais alors un souffle de liberté, vraiment.
Évoluer dans une autre culture donne aussi, parfois, un sentiment de renaissance. Je pense que beaucoup d’expatriés seraient d’accord avec cela. Je l’ai ressenti à chaque expatriation pour ma part.
Parler une autre langue joue un grand rôle dans cette sensation. Parler une autre langue, ce n’est pas seulement communiquer avec des mots différents, c’est aussi acquérir une autre façon de voir la vie. Les expressions employées dans une autre langue ne sont pas neutres, elles influent sur certains aspects. Et puis, plus simplement, parler une autre langue influe sur votre identité.
J’ai échangé il y a peu avec une amie franco-algérienne vivant en France. Comme beaucoup, elle est depuis son enfance tiraillée entre deux cultures, ce qui n’est pas facile à vivre. Elle me confiait son désir régulier de vivre ailleurs, dans un autre pays, une autre culture, et peut-être, surtout, parler une autre langue qui ne soit pas l’arabe ou le Français. Il y a là le désir de se fondre, de prendre une identité tierce pour s’éloigner de tout cela et au final ressentir plus de liberté dans sa vie et ses choix.
Bas les masques
De plus, à l’étranger, les relations sont plus aisées, les échanges surtout sont plus francs, plus vrais. On va plus vite à l’essentiel.
Et pour cause, cette personne à qui vous parlez, à qui vous vous confiez, vous ne la reverrez sans doute pas dans votre vie, du moins dans votre quotidien chez vous. Rien ne vous rattache à elle, vous n’avez pas de relation en commun, un ami ou un collègue. Ce sont des destins qui se croisent sur les routes du monde, comme dans la vraie vie. Sauf que la distance géographique impose d’emblée une distance, un fossé qui est souvent libérateur.
Aussi, pourquoi continuer à porter encore ce masque ?
Il y a moins d’intérêt.
Voir aucun intérêt.
Tout le monde le sait au fond. Aussi, cela et le fait d’être hors de son mur, tout cela fait qu’on met à terre notre masque plus facilement.
Car oui, en société, nous portons tous un masque face aux autres. Parfois, même face à nos proches, et à notre conjoint. C’est encore plus le cas au travail. Cela dit, le premier masque que l’on porte, c’est celui envers nous-mêmes.
Certains on recourt à cette protection plus que d’autres. En effet, pour certaines personnalités, il faut du temps avant que la personne en face montre ses faiblesses, ses émotions, ses doutes. C’est une carapace et elles pensent que montrer ses faiblesses, ses émotions est une faiblesse. Or, c’est tout le contraire. Cette construction, ce paradigme a eu un sens lorsqu’elles étaient plus jeunes, enfants. Comme beaucoup d’autres visions et attitudes, elles ne sont plus adaptées une fois dans l’âge adulte.
En outre, être dans cette communication très intime permet de nouer des liens affectifs plus facilement avec les autres. L’intimité affective est un puissant lieu avec l’autre.
C’est pour cela que les rencontres en voyage sont souvent intenses et qu’une relation forte peur se nouer plus facilement. Il y a le fait de partager des expériences intenses, certes, mais c’est aussi le fait que nous avons moins le besoin de mettre nos masques. Ainsi, une connexion se fait plus facilement avec les autres.
Être plus vrai avec soi-même
En voyage, nous sommes donc souvent plus vrais envers les autres. Et nous sommes aussi plus vrais avec nous-même. Cela va souvent ensemble à vrai dire. Si vous avez développé une sensibilité envers vous et vos émotions, vous allez plus facilement laisser voir cela aux autres. Et le voyage ne fait qu’accentuer cela. De la même façon que le respect que vous vous accordez va conditionner le respect que les autres vont vous accorder. Idem en amour
Le voyager solo notamment permet de se retrouver, de se connaître davantage, d’affronter nos parts d’ombres et de lumières. C’est un peu comme se retrouver seul après des années en couple. Cela peut faire peur au début, c’est est un peu angoissant, mais au final, comme beaucoup de choses, les choses sont plus faciles que ce que nous pensions. On se dit alors : mais pourquoi j’ai eu aussi peur de franchir le pas ?
Voyager permet, et cela va ensemble, d’écouter plus notre intuition comme j’en parlais dans cet article.
Certaines choses sur notre vie nous apparaissent alors plus clairement. Des choix parfois se font clairs. Nous sommes souvent plus lucides sur nous-mêmes et cela transparaît dans nos échanges avec ceux que nous croisons. Je ne compte plus le nombre de personnes que j’ai croisé sur la route qui ont changé de vie au retour. Il y avait eu une remise en question professionnelle et de leurs priorités dans la vie.
Pour ceux qui font un tour du monde, les changements sont parfois encore plus radicaux.
Le voyage a eu le temps de les marquer plus durablement. Ce sentiment de liberté, cette impression d’être plus aligné avec soi perdure davantage. Quand vous êtes loin de vos bases, quand la brique a quitté le mur, c’est forcément plus difficile de reprendre sa place. Enfin, c’est plus salvateur diront certains, dont votre serviteur.
Aussi, revenir ensuite au statu quo dans leur vie est difficile, voire impossible pour certains.
Avant de terminer, je pense là soudainement au chemin de Saint-Jacques-de-Compostelle. C’est le type même d’expérience forte qui illustre le sens de cet article. Vous avez plusieurs ingrédients qui sont réunis : la marche, cette façon de voyager lente méditative, le côté physique, les rencontres avec des personnes qui sont dans le même mindset que vous, la durée du voyage, la disponibilité d’esprit etc.
Oui, le voyage peut-être un confessionnal à ciel ouvert. Un confessionnal, sans prêtre, sans rites à suivre, sans préceptes dires d’un livre, sans besoin de validation de la part de ses pairs, sans culpabilité, sans règles, sauf une : la règle est qu’il n’y a pas de règle justement. Amen.
Et cela, c’est chouette.
En chemin, à un moment donné, cette question arrive souvent : mais pourquoi je ne suis pas plus comme cela dans la « vraie vie » ? Oui, bonne question.
C’est difficile d’être comme cela au quotidien, si déjà, ce n’est pas votre personnalité.
Pourtant, le voyage vous offre l’opportunité de développer ce côté-là de vous. C’est une chance. Il restera toujours quelque chose de cela. Libre à vous d’en prendre conscience et de l’appliquer au quotidien.
C’est votre choix, votre responsabilité.
C’est votre vie, votre voyage.