Entre Paris et Bogota : les quelques jours où notre monde a basculé
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- 1. Mardi 17 mars — Bogota — Partir ou non ?
- 2. Mardi 21 janvier — Villa de Leyva — Si loin…
- 3. Vendredi 24 janvier — Villa de Leyva – Résilience
- 4. Mardi 3 mars — Bogota — Je reste
- 5. Vendredi 6 mars — Bogota — Premier cas
- 6. Dimanche 8 mars — Bogota — Si près…
- 7. Mardi 10 mars — Bogota — Voyageurs en quarantaine
- 9. Jeudi 12 mars — Bogota — Jeudi noir
- 11. Vendredi 13 mars — Bogota — On s’est tous fait avoir
- 13. Mercredi 18 mars — Bogota – Déni
- 14. Samedi 21 mars — Bogota — Lockdown
Mardi 17 mars — Bogota — Partir ou non ?
Les derniers touristes français essayent de rentrer, c’est la panique. Certains se sont résolus à rester. C’est parti pour deux semaines de confinement en France. Ici, à Bogota, pas de confinement pour l’heure. Les restaurants et les commerces restent ouverts dans l’ensemble. Le pays a fermé ses frontières, les écoles et les facs sont fermées, ainsi que les bars et les discothèques. Il y a tout de même moins de monde dans les rues, mais ce n’est pas (encore) le confinement. À ce jour, il y a en Colombie 57 cas. Enfin, 57 cas officiels. Vous savez tous que ces chiffres sont du pipeau, qu’ils sont juste une tendance.
Les derniers vols pour la France partent ces jours-ci. Je m’interroge encore, partir ou pas ? Le 3 mars dernier, je n’ai pas pris mon vol pour la France. Il faut dire que je ne pensais pas que tout cela allait partir en sucette. Petit retour en arrière.
Mardi 21 janvier — Villa de Leyva — Si loin…
Villa de Leyva a toujours été l’un des sites les plus touristiques de Colombie et ce, même durant les années sombres du pays, dans les années 90 et 2000. Il y a toujours eu ici un tourisme local. Depuis quelques années, avec le développement du tourisme en Colombie, ce sont les touristes étrangers qui sont aussi de la partie. Mis à part certains week-ends où il y a un véritable afflux d’habitants de Bogota (la capitale est à 3h30 de route), le lieu reste agréable et paisible, surtout si vous prenez un hôtel un peu à l’écart du centre. Boutiques à la mode, restaurants, cafés branchés, c’est vraiment une chouette étape sur la longue route entre la capitale et la côte caraïbe.
Je viens juste d’arriver de Bogota. Je prends un verre de vin sur l’une des terrasses de la place centrale. Le soleil commence à décliner sur les montagnes des Andes. Pour la petite histoire, cette vaste place est l’une des plus grandes d’Amérique latine, des pavés, une église typique du pays, des maisons coloniales aux murs blancs. Le cadre est beau, clairement. Je suis venu ici pour faire une retraite : m’isoler seul quelques jours pour avancer sur mon futur livre qui doit paraître aux éditions Diateino. C’est aussi l’occasion de faire le bilan de l’année passée et de me fixer de nouveaux objectifs professionnels et personnels. C’est une habitude que j’ai prise il y a quelques années, une bonne habitude que je vous conseille, au passage.
Cela fait quelque temps que la presse parle d’une épidémie en Chine, dans le Wuhan. Cela semble si loin… Qui, parmi vous, peut situer cette province de Chine sur une carte ? J’y prête à peine attention, après tout, je me dis que c’est encore une énième épidémie venue d’Asie. On a eu le SRAS et le H1N1 en ce nouveau millénaire (et Ebola en Afrique). Bah, encore un autre virus qui fera une petite percée médiatique et qui disparaîtra en Asie. Ces virus asiatiques sont sympathiques, ils ont le bout goût de rester là d’où ils sont venus. Le Wuhan semble si loin et plus encore ici, dans les Andes colombiennes, devant un bon verre de vin chilien.
En lisant distraitement Le Monde face sur cette immense et paisible place, je me dis quand même que les Chinois y vont fort, ils annoncent qu’ils mettent en quarantaine toute une région, plus de 50 millions de personnes. Cela doit être sérieux, surtout quand on pense que le pouvoir chinois fait peu de cas de la vie humaine. Dans l’histoire récente de ce pays, l’économie est toujours passée en premier. Rappelez-vous les millions de morts provoqués par le Grand Bond en avant dans les années 50… Les images que je vois sont plutôt impressionnantes. Diantre, je n’aimerais pas être à leur place, me dis-je en avalant une nouvelle gorgée de vin. Heureusement, tout cela est si loin. Et ici, au milieu des Andes, avec ce sentiment de liberté que j’aime tant, je suis tellement bien.
Vendredi 24 janvier — Villa de Leyva – Résilience
Pendant ces quelques jours, j’écris, les mots s’accumulent, bref, j’avance bien à l’écart de tout. J’ai déjà ma petite routine, les matins sont consacrés à l’écriture. Difficile pour moi d’être focus plus de trois heures si je veux faire de la qualité. Le reste de la journée, j’effectue quelques tâches, je lis, attablé devant un tinto à l’un des nombreux cafés du village. Le soir, je vais courir, puis je discute avec German, le propriétaire de l’hôtel où je loge. Je me félicite de mon choix. Ce petit hôtel est situé à l’entrée de la ville, à l’écart, au milieu d’un grand jardin. Du calme, du vert, je suis presque seul et le propriétaire est sympa, bref, l’idéal. À l’heure où j’écris ces mots, je me surprends à penser avec nostalgie à ce séjour, à la liberté que j’avais, la proximité de la nature, le fait de courir face à ces montagnes que j’aime tant. Pourtant, cela ne fait qu’une semaine que je suis dans ma prison dorée. Je ne sais pas s’il faut que je trouve cela pathétique ou non.
Il faut que je vous parle de German, un personnage attachant. J’ai une pensée pour lui alors qu’ici tous les commerces ont fermé, comme dans beaucoup de pays dans le monde. Son seul revenu était cet hôtel et, comme beaucoup d’acteurs du tourisme, il va traverser une période difficile. Et le mot est faible. Ici, il n’y a pas d’aide pour les indépendants… En écrivant ces lignes, j’ai pensé à mettre un lien de réservation Booking pour son hôtel. Le vieux réflexe d’une vie passée.
Un matin en rejoignant ma table pour le petit déjeuner, je surprends German en train de lire dans le salon, assis au soleil devant la baie vitrée. La petite soixantaine, ce natif de Bogota est du genre bavard. Il fait partie de ces personnes qui se livrent facilement. On se ressemble sur ce point. « Les cinq langages de l’amour », c’est le livre que German est en train de lire. Je connais cet ouvrage, un classique dans le rayon « relations de couple ». C’est même un bestseller, écrit par Gary Chapman, un célèbre psychologue américain. Je félicite German de son choix de lecture. Il ferme alors le livre et me raconte qu’il a des doutes sur son couple. German est marié avec une femme bien plus jeune que lui qui veut des enfants, alors que lui non, il a déjà donné. Il faut dire que c’est son cinquième mariage ! Oui, il s’est déjà marié cinq fois, cela me laisse songeur, moi que cet acte laisse assez indifférent. Ces précédents mariages n’ont pas duré en grande partie à cause de l’alcool et de son infidélité chronique. Les deux étant liés, comme souvent.
German a échappé plusieurs fois à la mort durant sa vie. Cette vie, il l’a brulée par les deux bouts, multipliant les excès et les risques. Plus jeune, il a été victime d’un terrible accident alors qu’il nageait dans un lac. Le moteur d’une barque l’a touché, notamment au niveau des jambes. Il est resté longtemps hospitalisé, les médecins pensaient qu’il resterait marqué à vie. Ce ne fut pas le cas. Première résurrection. Quelques années plus tard, accident de cheval, la jument qu’il montait s’effondre sur lui et lui écrase des cervicales. Il est paralysé, les médecins lui disent qu’il ne pourra pas remarcher. Il les fait mentir, deuxième résurrection.
Il y a quelques années, lors d’une opération chirurgicale de routine, les choses tournent mal et il fait un arrêt cardiaque. Pendant quelques secondes, il est perdu. Il connaît alors une expérience de mort imminente. Il se voit aux portes de l’enfer : un immense chaudron l’attend, rempli d’hommes au supplice, en train de bouillir littéralement. Je vous laisse imaginer son effroi alors. Il ressuscite une troisième fois. Son expérience l’amène vers la religion, aidé en cela par sa dernière femme. Elle l’a aidé à combattre ses démons et à mener une vie plus saine. Je comprends son dilemme actuel par rapport au choix qu’il doit faire, pour elle, pour lui. Il me parle aussi de religion et de cette révélation après son expérience. Je n’ai pas envie d’aller sur ce terrain, je lui fais juste remarquer combien le rêve qu’il a eu est proche de ces tableaux du Moyen-Âge et de la Renaissance que nous avons tous vus au moins une fois dans notre vie. Ces représentations de l’enfer font partie de notre imaginaire collectif. Pour moi, ce n’est pas un hasard si c’est cette image de l’enfer qui s’est imposée à lui durant cette expérience… En tout cas, ce gars, simple et naturel, est un extraordinaire exemple de résilience. Il a quand même survécu à quatre mariages déjà ! Blague à part, je veux bien sûr parler de ces différentes vies qu’il a eues, de ses résurrections et de sa capacité à renaître.
German
Pendant ce temps, la presse accorde toujours une place importante à l’épidémie de Coronavirus qui sévit en Chine. Des images de routes barricadées dans le Wuhan, des vidéos et des photos publiées sur les réseaux sociaux ou la construction de deux hôpitaux de campagne en un temps record. Pendant ce temps, les habitants s’occupent comme ils peuvent chez eux et communiquent sur les réseaux sociaux. Un monde bizarre, une autre planète. C’était le confinement total, la quarantaine. Des mots qui me paraissaient tellement étrangers et étranges. Cela me paraissait loin. Cela nous paraissait tous loin.
Mardi 3 mars — Bogota — Je reste
Depuis fin janvier, le virus a contaminé l’Europe, l’Italie, la France et l’Espagne notamment. Le nombre de cas monte en flèche en Italie. Cela fait des semaines que l’OMS parle d’un risque de pandémie et exhorte les gouvernements à prendre des mesures fortes. Mais rien ne bouge vraiment.
Depuis début février, je me suis renseigné sur cette « petite grippe ». Beaucoup en parlent de cette façon. J’ai regardé quelques vidéos YouTube, j’ai lu des articles qui sont beaucoup plus sévères et alarmistes. Il est toujours difficile de se faire une opinion, entre la majorité silencieuse et passive et la minorité alarmiste. Qui a raison ? Je pars toujours du principe que la majorité n’a pas forcément raison. En fait, dans la vie, c’est bien souvent le contraire. Je pense qu’il faut toujours s’interroger et remettre en cause les certitudes et les faits établis par la majorité. Je ne suis pas expert, ni virologue, difficile de se faire une opinion plus précise. Cela dit, je me penche sur cette minorité et ce discours plus alarmiste, l’ignorer serait une erreur.
Je sens qu’un truc ne colle pas et ne tourne pas rond. Entre les mesures extrêmes prises par la Chine, les avertissements de l’OMS et la légèreté qu’affiche le gouvernement, il y a un truc qui ne colle pas. Peut-être qu’en effet, même si le taux de mortalité avoisine les 2 %, il ne faut pas prendre cette grippe à la légère.
Je devais rentrer le 3 mars en France pour un séjour de trois semaines. J’ai décidé de repousser mon voyage à fin avril pour plusieurs raisons personnelles. Le Coronavirus en France fait-il partie de ses raisons ? Pas vraiment. La Colombie n’est pas touchée, mais c’est juste une question de temps. Je me dis que je préfère aller en France plus tard, le temps sera meilleur et je pourrais rester plus longtemps. Et puis, le pire en France sera sans doute passé. Je me trompais alors complètement.
Optimiste, je prends vol et hôtel pour un séjour d’une semaine à Rincon del mar, un village de pêcheurs sur la côte caraïbe colombienne. Je me fait plaisir en réservant deux nuits dans un hôtel de charme sur une petite île au large. Trop hâte, surtout que j’ai envie de me remettre à la plongée ! J’étais vraiment optimiste alors…
Bogota
A lire également :
Vendredi 6 mars — Bogota — Premier cas
Premier cas en Colombie, à Bogota. Le patient zéro est une jeune étudiante colombienne revenue de Milan fin février. Deux semaines après, elle déclarait les premiers signes de la maladie. Autant vous dire, que vu le taux de contagion du virus, une centaine de personnes au moins a dû être contaminée entre temps. J’apprends qu’elle habitait dans le même secteur de Bogota que moi. Elle allait dans une église protestante à 100 mètres de chez moi. Une église financée entièrement par Falcao, joueur de foot phare, ex-recrue de Monaco. Les premiers cas en Colombie seront des cas importés, venant d’Europe notamment, d’Espagne en particulier où beaucoup de Colombiens vivent.
Pendant ce temps en France, Macron et sa femme vont au théâtre avec le message suivant aux Français : n’ayez pas peur, ne changer pas vos habitudes surtout. Le pays compte déjà près d’un millier de cas et la France va passer au stade 3 de l’épidémie. Avec le recul, on croit rêver. Voilà qui montre comme notre gouvernement est passé à côté de la gravité de la situation. Une amie me raconte qu’une connaissance, un Iranien, vient de rentrer à Paris. Aucun contrôle à l’aéroport, pas de mise en quarantaine. Dingue, on parle ici de l’Iran, un des pays les plus touchés par le Coronavirus. Les vols ne sont pas supprimés, aucun contrôle, je trouve cela stupéfiant ! Quel laxisme ! Quelques jours plus tard, il tombera malade avec des symptômes très proches du Covid-19…
Pour la grande majorité des Français, ce virus n’est pas préoccupant, encore une fois, c’est juste une grippe. Certains comparent le nombre de morts du Coronavirus aux morts dus à la pollution, aux accidents de la route ou à la grippe espagnole. Cette approche me paraît étrange, voire stupide. Il faut comparer ce qui est comparable. De même que mettre en parallèle le nombre de morts du Coronavirus (après deux mois) et celui de la grippe espagnole (qui a duré deux ans) est une erreur, les résultats ne pouvant qu’être que complètement faussés, vu que les durées ne sont pas les mêmes. C’est absurde, en fait. Je me dis que l’esprit humain est prêt à tout pour se raconter des histoires et se rassurer, quitte à travestir la réalité.
Je crois que c’était la dernière sortie au resto…
Dimanche 8 mars — Bogota — Si près…
En Colombie, la journée des femmes est assez populaire. C’est presque une sorte de Saint-Valentin bis. On invite sa douce au restaurant par exemple, on lui offre des fleurs, etc.
Ce 8 mars 2020, l’OMS déclare que le Coronavirus est une pandémie. L’OMS sermonne les États qui ne prennent pas assez de mesures radicales. En vrai, les États ne semblent toujours pas prendre l’OMS au sérieux. Cela me rappelle mes heures d’études au lycée. Je crois que l’on a tous eu un surveillant qui avait peu ou presque aucune autorité. L’OMS me fait penser à un surveillant dépassé par le chaos. C’est là où je me rends compte que ce truc ne sert pas à grand-chose, au final… En fait, les institutions qui commencent avec un O, en trois lettres, servent- elles à quelque chose ?
Le CAC40 dévisse de plus de 9 %. Le Bitcoin chute. C’est là où tout le monde se rend compte que non, le Bitcoin n’est pas une valeur refuge, contrairement à ce que ses fans déclarent à cor et à cri avec fierté. Il a pris cher depuis le début du mois. Je vois parfois passer sur mon feed Facebook des messages de panique de crypto boys. Faut-il acheter ou vendre ? Ils sont à la limite de la syncope. Parfois, je me dis que les fans de crypto monnaies ressemblent à une secte, à une religion. Ils ont leur croyance (le BTC va nous rendre libres des banques), leurs rites (les halvings, les forks), leur langage (dump, pump, token…), leur communauté, leurs réseaux, leurs médias… Et si vous émettez une critique, ils n’ont souvent aucun recul. En fait, il s’agit juste, la plupart du temps, que de simples spéculateurs, fiers de se considérer en « avance » dans un domaine confidentiel, avec l’alibi d’une belle idée… Il existe même une crypto monnaie, la Corona Coin. La monnaie prend de la valeur ou fur et à mesure des morts. Les crises révèlent toujours ce qu’il y a de pire chez l’être humain.
Même le cours de l’or baisse, c’est vous dire. Je regarde les chiffres de mes revenus d’affiliation, c’est la chute. Oui, je ne les regarde pas souvent, surtout que depuis des semaines, je suis focus sur l’écriture du livre. Cela avance bien, je vais rendre le manuscrit dans les temps, après trois mois de travail. Enfin…
Seule bonne nouvelle, pour moi, le cours de l’euro par rapport au pesos colombien a flambé, un record historique : l’euro est passé de 3 700 pesos à près de 4 300 en une semaine. Une bonne partie de l’économie de la Colombie dépend des exportations de pétrole. Or, là, le prix du baril de pétrole baisse et donc, comme c’est toujours le cas dans ce contexte, l’euro grimpe. Bon à moyen terme, ce n’est pas une bonne nouvelle pour la population, car cela veut dire une inflation des prix, du moins pour les biens importés.
L’Italie est en quarantaine. Je veux dire tout le pays. Un truc de fou, enfin, c’est ce que je pensais le 8 mars.
Mardi 10 mars — Bogota — Voyageurs en quarantaine
La Colombie place les voyageurs venant d’Espagne, d’Italie et de France notamment, en quarantaine. Ils devront rester 14 jours sans bouger de leur hôtel ou de leur domicile. Des contrôles sont prévus.
Sur les groupes Facebook de Français en Colombie, des voyageurs fraîchement arrivés cherchent déjà comment contourner la quarantaine. Des annonces sont postées : « Qui veut passer la quarantaine avec moi dans un lieu sympa avec piscine ? » Certains cherchent la plage où passer ces deux semaines. Visiblement, ils ne se rendent pas compte que le but d’une quarantaine, c’est de rester où l’on est seul. Non, ce n’est pas une colonie de vacances et non, le but n’est pas d’aller prendre le risque de contaminer un village de pêcheurs à l’autre bout du pays, isolé et sans hôpital proche. Ils ne se rendent pas compte que le système de santé dans ce pays n’a rien à voir avec celui de la France. Il sera vite dépassé par le nombre de cas. Certains seront d’ailleurs expulsés du pays pour ne pas avoir respecté les règles de la quarantaine.
C’est arrivé. Cette chose invisible est parmi nous, partout. On se croirait dans une mauvaise série Netflix, comme un arrière-goût de fin du monde. Ou du moins de la fin d’un monde. Je repense au film « Contagion » que j’avais vu en 2012. Oui, il y a des ressemblances. Heureusement, le taux de mortalité dans le film était proche des 30 %.
Quand je repense à ces jours paisibles à Villa de Leyva, j’ai l’impression d’avoir raté un épisode. Pourtant, non, tout était bien là.
Jeudi 12 mars — Bogota — Jeudi noir
3 000 cas et 60 morts en France.
9 cas en Colombie.
Jeudi noir sur les bourses mondiales, le CAC40 perd plus de 12 %, un record.
Un expert sur le Figaro parle de la chance de pouvoir réaliser sous peu de bonnes affaires en bourse. Les bonnes affaires suivent la courbe des morts.
Des journalistes français vivant en Italie témoignent du cauchemar et exhortent la France à prendre des mesures plus importantes. Le personnel soignant du nord de l’Italie témoigne du drame et d’une situation de guerre : il faut choisir qui va vivre ou mourir.
Des supermarchés commencent à être dévalisés en France, certains fondent sur le papier toilette notamment. Ah… l’être humain… Macron fait son show à la télé. Les écoles seront fermées à partir de lundi.
Attendez ! À la base, ce Coronavirus n’était qu’une énième grippe étrange venant d’Asie, non ? Tout le monde se rappelle l’épisode des 94 millions de vaccins commandés en 2009 par l’État français pour rien (sauf pour les industries pharmaceutiques, bien sûr). À l’époque, les politiques et les médias agitaient le spectre d’une épidémie du H1N1 et de millions de morts sur la planète. Il n’en fut rien. Un coup dans l’eau. À l’époque, j’étais sur les routes d’Asie du Sud-Est. Je me souviens bien des contrôles de températures aux aéroports. Avec le recul, cet épisode a sans doute eu des conséquences dans ce que nous vivons. Oui, vous connaissez tous l’expression « crier au loup ». Ben voilà ! Il y a eu peut-être un peu de cela dans la façon dont nous avons pris à la légère ce virus. Le syndrome du rétroviseur ou plus simplement un biais cognitif qui fait que des événements passés influent sur notre perception du présent et sur nos choix. Je pourrais presque dire, si j’osais, que le H1N1 a eu sa revanche sur le tard, une sorte de petit clin d’œil posthume.
Tout le monde parlait d’une simple petite grippe, à peine plus mortelle que notre bonne vieille grippe saisonnière. Plusieurs milliers de morts chaque hiver en France et seulement quelques articles dans les journaux. Un marronnier comme il y en a tant dans les médias. Les politiques ? Ils n’avaient pas du tout l’air stressé, rassurant. L’ex-ministre de la Santé n’a-t-elle pas déclaré, fin janvier, que les chances d’arrivée du virus en France étaient quasi nulles ?
L’édifice où je vis
Vendredi 13 mars — Bogota — On s’est tous fait avoir
État d’urgence en Espagne et aux USA.
Plus de 213 morts en 24 heures en Italie…
4 200 cas, 120 morts en France.
Le pétrole continue à baisser. Un euro vaut 4 500 pesos.
Les pays se ferment aux Français. Ici et là, des articles indiquent dans quelles destinations nous pouvons encore aller. On devient des pestiférés. Sur Linkedin, je vois passer un post de l’Office de tourisme de l’Indonésie. Avec une vidéo, elle invite les Français à venir dans son beau pays. La raison ? Leur hospitalité. Ce post me fait tiquer vu le contexte. J’écris un commentaire, je ne peux m’en empêcher. Quelque chose du genre « La raison, n’est-ce pas plutôt l’argent ? Est-ce bien adapté d’importer le risque dans votre pays, au vu du système de santé déficient pour votre population ? » Un truc comme ça. Pas de réponse…
On s’est tous fait avoir. Je me suis fait avoir. En février, lors des premiers cas en Europe, j’ai bien cherché des infos pour en savoir plus. J’ai regardé des chaînes YouTube, lu des articles ici et là. Mais je vous l’avoue, même si en effet, j’avais conscience que ce virus était plus dangereux qu’une grippe, il y avait aussi comme un sentiment d’incohérence entre le discours public, celui des médias, la situation en Chine et ce que tout le monde se racontait comme histoire. Un truc ne collait pas. Vous vous souvenez ?
Car ce virus, qui n’est pas si dangereux que cela en réalité, est vicieux à bien des égards, de par son taux de contamination et sa période d’incubation, notamment. Il suffit de lui montrer qui est le maître dès le début. Taiwan, le Japon ou la Thaïlande l’ont démontré.
Mais voilà, il ne faut surtout pas faire l’erreur de le sous-estimer… C’est ce qu’a fait l’Italie, puis la France et les autres pays européens. Une fois que sa croissance devient exponentielle, il conduit à une catastrophe sanitaire. Le système de santé est dépassé, ce qui induit alors une hausse importante de la mortalité. Dans 5 % des cas, il nécessite des soins intensifs en réanimation. Il va toucher entre 50 % et 70 % de la population. Faites le compte… Vous avez sans doute déjà vu ce schéma très clair. Le but est que le nombre de malades s’étale dans le temps.
Ce week-end-là, j’ai encore vu que certaines personnes pensaient que ce n’était qu’une simple grippe. C’est fou ! Le déni est parfois une attitude que l’esprit humain utilise pour se protéger d’une réalité difficile, qu’il ne veut pas voir, car il n’a pas les ressources suffisantes pour l’affronter. Nous le faisons tous dans notre vie.
Ce matin, je viens de rendre mon manuscrit à l’éditeur. Je suis heureux d’en avoir terminé. J’ai conscience que la date de publication va être incertaine. J’avais déjà prévu une soirée de lancement à Paris en mai… C’est raté. Il faudra décaler cela en septembre sans doute.
Commande de masque en tissus !
Mercredi 18 mars — Bogota – Déni
France : 9 100 cas, 264 décès
Colombie : 100 cas, 0 décès
Dingue. Macron a maintenu les élections municipales. Quelle stupidité, c’est criminel. Je serais en France, je n’irais pas voter. J’ai d’ailleurs demandé à mes parents de ne pas y aller pour ne pas souscrire à cette farce.
Je suis étonné aussi de voir autant de Français dehors, étendus en groupe sur l’herbe des parcs. Il fait beau, on en profite. Après tout, c’est assez logique, Macron vient de dire que l’on peut sortir pour aller voter, alors pourquoi ne pas profiter du soleil ? De quoi faire au moins, un bon titre pour Libération.
Le confinement total a enfin été décrété en France. Le CAC40 plonge encore de 6 % à 3 600 points. De nombreux Parisiens sont partis en province, diffusant le virus. Plus d’un million de Franciliens se sont déplacés, ce qui provoque des tensions ici et là, notamment, dixit un article de Libération, à Belle-Île-en-Mer. Le Parisien qui arrive tout sourire pour faire de la voile en confinement et qui plante son bateau… Si, si, c’est cliché, mais cela existe.
Ici, en Colombie, on s’y dirige. La maire de Bogota impose un confinement test de quatre jours le prochain week-end. L’ambassade de France multiplie les avertissements envers les Français de passage, leur demandant de rentrer en France. Des vols de rapatriement vont être organisés jusqu’à la fin du mois. Beaucoup de touristes refusent de rentrer, ils cherchent toujours La plage ou le petit village tranquille où passer le confinement. Certains expatriés essayent de les raisonner, ils ne connaissent pas le pays et ses réalités. Il y a sans doute chez certains une forme de déni et d’inconscience.
Oui, toi aussi, tu es confinés.
Samedi 21 mars — Bogota — Lockdown
France : 11 000 cas — 120 morts en 23 heures.
Italie : 800 morts en 24…
Colombie : 200 cas, 0 décès
Duque, le Président de la Colombie, vient d’annoncer à la télévision un confinement total du pays pour 19 jours. Tout est déjà fermé. Les frontières également. L’OMS déclarera que la Colombie est le pays qui a mis en place le plus rapidement le confinement, seulement deux semaines après le premier cas. En France, il a fallu attendre sept semaines.
J’espère que ces mesures prises rapidement empêcheront que la courbe devienne exponentielle, comme en France ou en Italie. Il vaut mieux, car ici, cela risque d’être alors le chaos.
En France, la polémique sur les masques enfle. Normal. Il est clair que le confinement est parti pour durer jusqu’en mai, au moins. Le gouvernement le sait et préfère ménager les Français en y allant par touches. Le FMI dit qu’il devrait y avoir une récession. Non, quelle surprise ! Quelle langue de bois ! Ce n’est pas une récession, mais une dépression dépassant celle de 2008 vers laquelle on se dirige.
L’autre polémique du moment, c’est l’utilisation de chloroquine comme traitement efficace contre le coronavirus. Défendu par le professeur Didier Raoult de Marseille. En un temps record, toute la France connait son nom. Il y a notamment un groupe Facebook important qui rassemble ses fans. Je n’ai pas de position sur l’efficacité de ce traitement, je ne suis pas médecin. Ce qui m’interpelle, c’est plutôt la réaction des gens sur ce groupe. Flippant et à la fois fascinant : un concentré de complotistes de tout bord, de racistes, de personnes intolérantes et violantes. Certains ont vraiment l’air désespéré. Une impression de fin du monde qui fait de ce professeur un messie. Il y a des points communs avec une secte. Vous avez le gourou, malgré lui, les adeptes prêts à vous crucifier si vous doutez…Les gens sont prêts à tout, certains à le défendre de leur vie. Oui, flippant ce que ce genre de crise fait ressortir de l’être humain.
Quelques infos dans les médias : la fréquentation des sites pornos explose, la vente de cannabis aussi. La SPA voit une vague d’abandon d’animaux, certains n’ayant pas intégré que les animaux domestiques ne peuvent transmettre le virus. La Basilique du Sacré-Cœur ferme pour la première fois. Le journal de confinement publié par Leila Slimani dans Le Monde est critiqué, trop bobo et idéalisé, elle qui est à la campagne. Ainsi va le monde.
J’annule, bien sûr, mon séjour à Rincon del Mar. Adieu eaux turquoises, couchers de soleil, plongées et tout. J’aurai pu vivre cela :
Ca déchire non? Bon, j’arrête, suis maso, je me fais du mal.
A la place, je suis confiné ici pour quelques semaines. Les deux étages avec la lumière. Si, regardez bien, on aperçoit mon Mac en bas à droite. Confinement en théorie jusqu’au 19 avril, mais je me fais pas d’illusion, ce sera jusqu’en mai au moins…
On a signé pour quelques mois de galère, soyons clairs. Terminé les voyages pour un temps, comme je le raconte dans cet article. Mais après la tempête, il y a toujours des éclaircies. Ce sera cet été, espérons-le…
Post scriptum : en relisant ce texte, un mois après, je me dis que le ton peut paraître assez sombre et négatif. Il est vrai que pendant deux semaines, je ressentais, parfois, les événements avec angoisse et gravité. Depuis un mois, cela va beaucoup mieux, je suis bien plus optimiste. Je me suis vraiment bien adapté au confinement et à la situation. Si je prends le temps, je raconterais peut-être la suite. Merci de m’avoir lu !
toujours interessant,bonne journée
Bonjour Fabrice,
Chouette déroulé sur l’évolution de cette crise. Ça nous inspire des articles un peu différents de ce qu’on a l’habitude de faire !
Nous sommes rentrés en janvier du Vietnam, et quand on a commencé à parlé de ce virus, on s’est de suite dit que c’est ça qu’on avait dû avoir comme virus fin décembre au Cambodge. Tous les symptômes, et on avait passé quelques jours à Angkor au milieu de beaucoup de Chinois ! On ne le saura que le jour où ils nous testeront avec une recherche d’anticorps !
On préparait déjà le prochain voyage, en Colombie, pour la fin 2020. Et mi mars, on nous a confinés ! Bizarre mais les préparatifs sont restés en plan ! Aux dernières nouvelles, sans vaccin, il y a des risques qu’on ait du mal à sortir du pays, et le vaccin, c’est pas avant 2021 !
Ce qui est sûr c’est que nos facilités de voyager sont en train de changer, et que pour le moment, on ne sait rien que ce qui nous attend ! Ce qui est sûr aussi, c’est que les « grands pays occidentaux » ont encore pêcher par excès de confiance en soi et nous apparaissons aujourd’hui moins bien efficaces que des pays que beaucoup considèrent comme le tiers monde !
Tu espères une reprise cet été, je suis plus pessimiste que toi (effet confinement semaine 6 !)
Je suis confinée chez moi en Corse, avec une belle vue sur le Golfe d’Ajaccio, donc je ne vais pas me plaindre ! Mais nous nous posons la question de savoir si nous aurons une saison touristique cette année ?
Bon confinement, prends soin de toi
Virginie
Bonjour Virginie,
Ha oui ! Vous l’avez chopé dés décembre au Cambodge ! C’est bien possible vu que les premiers cas en Chine était en novembre, minimum…
Oui, pour cet été, ce sera limité à la France. Mais peut-être à l’automne, nous pourrons bouger davantage.
Je ne suis pas sûr que les vols vont attendre un vaccin, car sinon…Peut-être un systéme de test ?
Oui, chouette lieu de confinement, en effet, j’aimerai y retourner…En Corse:-)
Merci Fabrice pour le récit de ton vécu …. expérience très particulière !
Continuons d’être prudents et patients avec à l’horizon des jours meilleurs et d’autres voyages en perspective.
À bientôt d’autres récits.
super commentaire fabrice. prend soin de toi
a bientot
cdt
Kikou fab, sympa ton récit mais….. mais presque tout ce que tu nous raconte, nous l’avons vécu nous-même en France en direct! Alors quel intérêt pour nous? Aucun; De même que tes réflexions sur ce qui se passe chez nous ici en France! dommage! Combien nous aurions aimé que tu nous parle, que tu nous explique COMMENT cela se passe CHEZ TOI en Colombie! En bas de chez toi, dans ton quartier, chez tes amis, chez les pauvres et chez les riches! C’est cela qui nous interresse vraiment tu sais !!!
Je parle peu ici de ce qui se passe en Colombie, car c’était dans les premières semaines, comme indiqué. Peu de cas en Colombie alors…Mais il faudrait que j’en parle, peut-être dans une vidéo.
Tu sais, quand tu écris un ressenti perso, c’est avant tout une démarche auto-centré, c’est le propre d’un journal de bord par exemple.
Bonjour Fabrice,
Nous sommes rentrés en France de Colombie le 10 Mars après un long voyage de 5 mois en Amérique du Sud. Je vois avec votre article que les sentiments vis à vis de ce qui se passe en France sont les mêmes à distance et sur place. Nous espérons mon mari et moi que les Colombiens gèrent au mieux la situation, en s’étant confinés plus tôt. Mais nous pensons à tous les vendeurs de rue et les travailleurs informels ou indépendants qui doivent être sans revenus… quelles solutions peuvent-ils trouver pour vivre?
A bientôt de vous lire, Martine
Bonjour Martine,
Vous êtes rentré juste à temps donc 🙂 Oui ,ca va ici au niveau sanitaire.
Après, en effet, pour les millions de Colombiens des classes populaires, difficile.
Il y a une aide de l’Etat, des entreprises et de certains riches Colombiens, mais la chose est insuffisante…